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l’homme et la terre. — nationalités

l’Autriche sous peine de voir renverser son propre trône. Ce fut l’époque du Risorgimento, de la « Résurrection ». En quelques semaines, et presque sans combat, l’Italie en était arrivée à pouvoir revendiquer son unité politique, cet idéal qui jadis avait flotté devant quelques nobles esprits, dont ils n’avaient jamais pu tenter la réalisation. Dès les premiers jours de conflit entre les révolutionnaires italiens et les garnisons autrichiennes, celles-ci avaient dû évacuer Milan et les autres villes de la Lombardie occidentale, foyers par excellence du patriotisme unitaire, où l’on avait vu les fumeurs former une ligue pour s’abstenir de fumer du tabac autrichien et les jeunes filles, oublieuses des « amants de Vérone », s’associer par serment pour renoncer d’avance à tout amour avec ennemi ou compatriote indifférent aux revendications nationales. Si grande était l’ardeur du sacrifice que les martyrs ne se comptaient plus et que le changement d’équilibre politique était reconnu comme inévitable par les conservateurs les plus outrés ; mais de leur côté, les ardents Italiens ne se condamnaient-ils pas d’avance à un mouvement fatal de réaction en confiant la gérance de leurs droits et le souci de leur émancipation à des ennemis naturels, à deux souverains, le pape et le roi ?

Le contre-coup de la révolution de février ne se fit guère sentir en Espagne, tant ce pays était accoutumé aux ébranlements de la guerre civile ; tandis qu’en dépit de leur isolement traditionnel, les îles Britanniques furent secouées par le mouvement d’ondulation générale. Le peuple s’agita, et le Parlement dut s’entourer d’une véritable armée ; même en Irlande, on en vint à la franche révolte, révolte condamnée d’avance à un insuccès lamentable, car les Irlandais, affaiblis par une oppression mainte fois séculaire, et, d’ailleurs, privés de toute force physique par la famine, savaient à peine manier leurs bâtons et se laissaient choir, exsangues, au bord de la route.

Chose étonnante, le choc en retour des événements d’Europe aurait été plus sérieux en conséquences dans l’Inde lointaine et en Extrême Orient, car des auteurs anglais attribuent au retentissement des révolutions de l’Occident le soulèvement des Sikh, établis autour de Lahore et dans le Pendjab ; ceux-ci battirent les armées de la Compagnie en plusieurs rencontres, tandis que de nombreuses grèves de Cinghalais mettaient en danger la domination de l’Angleterre. Quant aux Taïping de la Chine, qui, vers la même époque, bouleversèrent l’empire du