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l’homme et la terre. — nationalités

interprètes de l’histoire, comprenant que l’étroite solidarité entre toutes les races qui aspirent à se constituer librement était l’indispensable condition du succès. On dit qu’avant d’entrer en lutte ouverte avec les Magyars, le patriarche Raïetchitch, au nom du Congrès national des Serbes réunis à Karlovic, proposa aux représentants de la Hongrie une entente amiable, en vertu de laquelle les Magyars consentiraient à l’union fraternelle des Slaves autrichiens, tandis que ceux-ci exigeraient le rappel de toutes les troupes slaves employées en Italie par le gouvernement d’Autriche et négocieraient une alliance avec le peuple italien, lui-même alors engagé dans la grande lutte du Risorgimento[1]. Mais les ambitions nationales prirent le dessus : les Magyars voulurent à la fois conquérir leur autonomie et maintenir leur domination. Les temps n’étaient pas encore venus pour la solution naturelle, seule logique et normale, c’est-à-dire la fédération libre entre toutes les nationalités de l’Europe sud-orientale, de Prague à Constantinople.

Dans la petite Suisse se passèrent aussi des événements mémorables qui témoignent de la toute-puissance de l’opinion contre les conventions diplomatiques. Les jésuites, toujours industrieux à tisser leurs toiles d’araignée, avaient réussi à se faire accueillir dans un certain nombre de cantons, et à s’emparer de l’éducation des enfants à Lucerne et autres cités catholiques. Fort habiles à négocier, ils s’étaient crus également de force à combattre, et, sous leur patronage, s’était constituée la ligue du Sonderbund — « Alliance distincte » —, qui comprenait les sept cantons catholiques de Schwitz, Lucerne, Uri, Untervalden, Zug, Fribourg et Valais (1846). Après de longues hésitations et temporisations, le reste de la Suisse finit par accepter le défi et triompha des bandes que dirigeaient les prêtres. La campagne ne dura que quelques jours (novembre 1847) et prit au dépourvu Metternich, Guizot et autres ministres qui eussent volontiers prêté main-forte à la religion. Néanmoins la diplomatie européenne parlait encore d’intervention, lorsqu’on apprit la nouvelle de la révolution qui venait de se produire à Paris. Dès le lendemain, le 29 février, les citoyens de Neuchàtel se débarrassaient du personnage qui gouvernait le canton au nom de la Prusse, et, malgré toute la diplomatie de l’Europe, ils faisaient reconnaître leur indépendance

  1. A. d’Avril, La Serbie chrétienne, p. 77.