Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
l’homme et la terre. — les communes

munes ressemblaient à des îles parsemées dans une mer sans bornes. Au-dessus des communes bourgeoises, les rois et les prêtres ; au-dessous les ouvriers et les paysans. Et c’est parce que ceux-ci étaient lésés que ceux-là, les anciens maîtres, devaient reconquérir le pouvoir. L’histoire nous dit combien la règle était méthodique et rigoureuse dans les villes hanséatiques, combien soucieuse de gains, étroite, impitoyable à l’égard de ceux qui n’appartenaient point à la ligue ! En dehors d’elle, comme en dehors de l’Eglise, point de salut ! L’étranger ne comptait aux yeux des hanséates que comme proie : il ne pouvait prendre de service à bord de leurs navires. On ne lui confiait aucune marchandise à charger ; à aucun prix un peu du bénéfice prévu ne devait s’égarer sur un intrus. Et la tourbe des paysans ne restait-elle pas presque toujours séparée de la ville, bien plus encore par le mépris des citoyens que par les murs d’enceinte et les fossés ? Que de fois même les villes s’entendirent-elles avec les seigneurs, par-dessus la tête du roturier, « pour gagner ainsi des alliances précieuses » et se firent-elles les pires ennemis de ceux qui auraient dû être leurs amis naturels ! Mais une victoire compliquée de félonie finit toujours par se changer en défaite : les seigneurs auxquels les communiers s’étaient confiés revenaient souvent dans la ville en dangereux alliés ou en dictateurs, surtout ceux qui avaient reçu le titre de « combourgeois » et qui, tout en étant censés des égaux, se considéraient encore comme des maîtres[1].

Quoi qu’il en soit, l’initiative si merveilleuse qui donna naissance aux communes témoignait d’une surabondance de force qui se manifesta dans tous les produits de l’activité et dont les monuments les plus superbes sont les édifices qui se dressent au centre des cités. L’esprit laïque eut donc une grande part dans ces œuvres, que leur nom même d’ « églises » pourrait à tort représenter comme d’origine purement religieuse.

Naturellement les racines multiples de cette admirable plante architecturale se développèrent dans toutes les formes antérieures de la civilisation, de même qu’au point de vue purement matériel, on peut les expliquer par tous les progrès successifs dans l’art de bâtir. Certes, la différence est grande entre les lourdes voûtes mérovingiennes, semblables à des cavernes, et les somptueuses cathédrales, s’épanouissant haut dans

  1. Pierre Kropotkine, L’Etat, son Rôle historique.