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l’homme et la terre. — les communes

geait jalousement ses élèves contre le bourgeois, mais il exerçait sur eux un pouvoir absolu, au spirituel comme au temporel.

Le grand avantage des universités du moyen âge consistait en ce qu’elles n’avaient pas été rongées par la routine qu’impose la centralisation : à cet égard elles se rapprochaient de l’idéal rêvé par les penseurs beaucoup plus que les banales écoles de nos jours, où se dressent et s’estampillent les jeunes gens diplômés pour le combat de la vie. Ainsi les professions de maîtres et d’élèves n’étaient point essentiellement distinctes, surtout dans la Faculté de philosophie, généralement désignée sous le nom de « Faculté des artistes » ; les étudiants s’y instruisaient mutuellement, en sorte que tel membre de l’association, connaissant parfaitement une branche de la science, l’enseignait à ses camarades, pour s’asseoir à son tour sur les bancs des auditeurs quand un élève le remplaçait dans la chaire pour un autre cours[1]. Des hommes de tout âge étudiaient ensemble, car les universités n’étaient pas alors de simples usines à doctorats, et de nombreux étudiants poursuivaient longuement leurs recherches dans le milieu de savoir qui leur convenait, sans être forcés d’obéir à l’impérieuse obligation de se créer rapidement une carrière. Enfin, les universités avaient un caractère essentiellement international, comme l’Eglise ; elles appartenaient non à telle ville ou à tel district, non à un peuple, mais au monde cultivé tout entier, et les élèves, groupés en « nations », trouvaient une patrie commune dans la grande Ecole où les idées appartiennent à tous. C’est un des traits les plus aimables de cette période du moyen âge que l’esprit de cordiale fraternité avec lequel s’entretenaient les membres de la grande famille des chercheurs de savoir. Ils avaient bien conscience de former entre eux une grande république, faible par le nombre, il est vrai, mais étroitement unie par le sentiment d’un idéal commun.

Ainsi, sur le terrain de la science, la société laïque et bourgeoise travaillait incessamment à se dégager du joug royal et de la domination ecclésiastique ; le domaine de l’esprit lui appartenait par droit de conquête comme celui des métiers, du trafic et des arts. Mais le droit que donne la force ne lui revenait pas toujours dans ses luttes contre la noblesse, de l’étreinte de laquelle elle voulait se débarrasser ; les

  1. Jean Janssen, l’Allemagne à la Fin du Moyen Age, p. 74.