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l’homme et la terre. — le dix-huitième siècle

régnaient à Delhi ne la gêna nullement : au contraire, les Anglais se servirent du nom de l’Empereur pour substituer peu à peu leur puissance à la sienne, pour emprunter tout son système d’administration et d’impôts. De nos jours encore, après plus d’un siècle de domination, l’Angleterre, héritière de la compagnie, gouverne ses possessions de l’Inde, non suivant les us britanniques mais beaucoup plus en conformité des méthodes persanes qui prévalaient sous l’empereur Akhbar. Ainsi que le veut la loi commune de l’histoire, les Anglais, faible groupe perdu au milieu d’une mer d’hommes étrangers, furent beaucoup plus conquis que conquérants : le travail d’égalisation entre les races qui s’accomplit au contact des différents peuples a commencé dans le pays des castes par la constitution d’une caste britannique non moins rigide et fermée que celle des brahmanes. L’Orient l’emporte encore sur l’Occident.

Dans le Nouveau Monde, le conflit entre l’Angleterre et la France pour l’expansion de l’empire colonial avait eu le même résultat qu’en Asie. Déjà au commencement du siècle, 1718, le traité d’Utrecht avait favorisé les Anglais en leur transférant les possessions de la France sur le pourtour du continent américain, de la baie de Fundy à la mer de Hudson. Presque toutes ces contrées n’avaient encore que leur faible population indigène ; toutefois la petite péninsule d’Acadie aujourd’hui Nova-Scotia — ayant reçu pendant le siècle précédent quelques immigrants français, presque tous originaires de la Normandie et du Perche, constituait en 1718 une colonie de 2 100 individus. Les conquérants anglais installèrent leur garnison dans la place de Port-Royal, devenu Annapolis, tandis que les paysans français restés sur leurs héritages, continuaient de prospérer en paix : au milieu du siècle, ils étaient plus de 14 000, ayant sextuplé en quarante années sans le secours d’aucune immigration d’Europe[1].

Les Anglais furent effrayés de cet accroissement rapide de colons étrangers par l’origine, parlant une langue et professant une religion qui n’étaient pas les leurs. Le danger leur paraissait d’autant plus pressant que ces catholiques français avaient été reconnus « neutres » par les traités et que le serment d’allégeance, demandé par le gouvernement britannique, leur garantissait le droit de ne jamais être obligés de

  1. Rameau de Saint-Père, Une colonie féodale en Amérique, tome I, p. 12.