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l’homme et la terre. — le roi soleil

point annoncer la fin des maux. D’ailleurs il semblait que le Destin s’acharnait sur le roi vieillard qui ne voulait pas mourir, alors que ses héritiers, fils, petits-fils étaient successivement frappés. L’opinion publique ne pouvait croire que toutes ces morts n’eussent pas été voulues, et, soupçonnant volontiers le crime, voyait dans la cour un antre d’empoisonneurs. Rarement grande époque de magnificence et de faste finit de manière plus lamentable. Pourtant « le monde veut être trompé », et, malgré l’effondrement du règne, l’apothéose du roi se fit peu à peu dans l’histoire, telle que la racontent les écrivains courtisans. Louis XIV a toujours ses flatteurs comme Alexandre, César et Charlemagne ; que de rois, même parmi les contemporains, prennent encore exemple sur lui !

C’était au tour de l’Angleterre d’avoir la première place en Europe. Malgré les révolutions politiques intérieures et un double changement de dynastie, malgré des revers passagers et même des humiliations nationales, le progrès en population et en commerce n’avait cessé de se produire pendant la deuxième moitié du dix-septième siècle. Le roi Charles II, rappelé d’exil après la mort de Cromwell et le renoncement du fils au protectorat, avait naturellement essayé de réagir contre tout ce qui s’était accompli pendant son absence, tentant l’œuvre impossible de supprimer l’histoire ; il s’acharna aussi contre des cadavres et fil décapiter les corps des régicides. Il eût même voulu ramener l’Angleterre au catholicisme, et se laissa tenter jusqu’à devenir le pensionné de Louis XIV. Néanmoins il lui fallut longtemps compter avec son Parlement, c’est-à-dire avec la bourgeoisie grandissante. S’il réussit, vers la fin de sa vie, à faire prévaloir son pouvoir absolu, à se débarrasser de ses plus fiers adversaires par la main du bourreau, même à faire déclarer solennellement par l’université d’Oxford que la doctrine de la souveraineté populaire se transmettant au prince par contrat est blasphématoire et criminelle, son frère et successeur Jacques II (1685) devint un témoignage vivant que la force appartenait pourtant à ce peuple méprisé.

Celui-ci ne régna que trois ans, son gendre Guillaume III d’Orange débarqua pour le combattre sous prétexte qu’il était héritier légitime du trône, mais en réalité comme champion du protestantisme et du légalisme parlementaire contre le catholicisme et le régime du bon vouloir. Jacques eut à peine le temps de résister. Fait prisonnier, puis relâché avec mépris comme personnage sans importance, il dut se