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l’homme et la terre. — le roi soleil

comme un crime. Des milliers et des milliers de protestants apprirent à connaître les « galères » du roi, nom qui fait encore frissonner les paysans de France dans les campagnes écartées. Le bâton, le fouet, les ceps, les instruments de torture régnaient dans ces galères sur les malheureux, captifs maures ou Français coupables, innocents ou martyrs que le mauvais sort ou la méchanceté des hommes y avaient assemblés. De quel côté les horreurs étaient-elles plus grandes, dans les parages de la Maurétanie, où les captifs chrétiens ramaient pour le dey musulman, ou bien dans les mers du Lion, que parcouraient silencieusement les galères du grand Roi ?

Plus heureux que les captifs furent ceux qui succombèrent en hommes libres. Dans les vallées des Cévennes, sur les deux versants, les protestants étaient assez nombreux pour constituer une véritable nation dans la nation, qui eût aimé vivre en paix avec ses voisins mais qui avait le sentiment de sa force et se savait défendue par ses âpres rochers sans chemins. Elle résista, souvent victorieuse, et il fallut envoyer contre elle de véritables armées commandées par des maréchaux de France, qui s’étaient mesurés dans les guerres étrangères avec les plus illustres capitaines. De tout temps, les « expéditions à l’intérieur », non contrôlées par le droit des gens, furent plus barbares que les campagnes dirigées officiellement contre les ennemis du dehors, et les « missions bottées » ou « dragonnades » qu’organisèrent les convertisseurs des Cévennes furent une de ces horribles entreprises militaires accompagnées d’abominations de toute nature.

La guerre proprement dite n’éclata que longtemps après la révocation officielle, en 1702, et ne dura que deux années et demie, mais elle eut pour conséquence le dépeuplement presque complet du pays. Ce qui donne à la belle lutte des montagnards contre des armées entières une allure si démocratique et si fière, c’est que les nobles n’y prirent aucune part, comme dans les soulèvements antérieurs des réformés. Les pasteurs non plus ne participèrent point à la guerre : ils se tirèrent à l’écart, attristés et malveillants, répétant sans cesse leur lâche et commode formule : « Obéissez aux puissances » ! Mais les « camisards », ayant fait un « pacte avec la mort », n’avaient besoin ni de seigneurs ni de pasteurs pour résister victorieusement dans leur citadelle de montagnes. Pour les affamer et les obliger à descendre dans la plaine, où l’on voulait les forcer comme le gibier, il fallut