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l’homme et la terre. — le roi soleil

nation universelle l’avait pris pour victime, comme d’autres que la fortune a placés dans la région du vertige, et, dans le vaste organisme militaire qui se groupait autour de lui, au-dessus de la foule des producteurs ne demandant que la paix, combien de jeunes oisifs d’audace et de talent étaient prêts à seconder ses ambitions ! Malgré les traités qui avaient assuré à la France une situation dominante, la guerre était nécessaire à la gloire de son maître, et son règne ne fut, en effet, qu’une guerre sans fin.

Les raisons ne pouvaient manquer à un homme placé au-dessus de la morale humaine. Marié à une fille d’Espagne, il réclame, à la mort de Philippe IV, 1665, une part d’héritage à laquelle il n’avait aucun droit. Ce fut le début de l’interminable lutte dans laquelle ses généraux, habitués à la victoire, trouvèrent bientôt des rivaux dignes d’eux, tandis que leurs ressources en hommes et en argent s’épuisaient peu à peu. La fin du siècle marque l’apogée de la puissance territoriale du roi Soleil : en 1700, un de ses petits-fils monte sur le trône d’Espagne : mais l’Empire, l’Angleterre, la Hollande, le Portugal se liguent contre lui, et à la période des victoires succède celle des campagnes indécises, puis celle des batailles perdues et des retraites désastreuses. De 1704 à 1710, Marlborough et le prince Eugène de Savoie infligent défaite sur défaite aux Français : Blenheim, Ramillies, Oudenarde ( Audenarde), Malplaquet, et rendent à peu près nulle l’œuvre des Turenne, des Condé et des Vauban ; pourtant une dernière et suprême journée, celle de Denain, en 1712, trois années avant sa mort, permet à Louis XIV de s’éteindre dans une certaine attitude de majesté et laisse la France dans les limites que l’on est convenu d’appeler « naturelles » sans qu’il soit possible de spécifier en quoi elles consistent : il est en tous cas certain que, suivant le lit du Rhin ou la crête des Vosges, la frontière politique ne respecte pas celle des langues.

De toutes les annexions de provinces qui se firent sous son règne, la moins contestée par les habitants eux-mêmes et par les puissances étrangères fut celle de la Franche-Comté, qui — étrange bizarrerie des jeux de la politique et du hasard — était restée jusqu’alors une dépendance de l’Espagne. Il est certain que la pente générale du pays, la direction des vallées, les relations commerciales, la langue et les mœurs de la population donnaient à la France une grande force d’attraction sur les Francs-Comtois, et ceux-ci se seraient depuis toujours unis à