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l’homme et la terre. — le roi soleil

La France, l’une des puissances qui, à la fin du seizième siècle, prenaient la plus grande pari à l’hégémonie morale de l’Occident, entrait dans une période de grand calme succédant à de terribles crises. Le massacre de la Saint-Barlhélemy, les meurtres en masse, les incendies, les batailles, la famine de Paris, celles de tant d’autres cités et campagnes avaient laissé un sentiment d’horreur : le pays avait besoin de repos, et ses ressources suffisaient heureusement pour lui rendre la vie et même une certaine prospérité. Henri IV qui, lors de la Saint-Barlhélemy, avait abjuré le protestantisme, puis était redevenu huguenot pour avoir une armée à son service, n’hésita point devant une troisième apostasie pour devenir roi de France ; la ligue catholique, désarmée par celle conversion, consentit à la paix et la famille rebelle des Guise, qui ambitionnait le trône, fut obligée de faire sa soumission : le roi d’Espagne lui-même, las de fournir des hommes et de l’argent pour une cause perdue, finit par signer un traité à la veille de sa mort ; et, tandis que les jésuites, coupables à leurs propres yeux de n’avoir point réussi dans une tentative de régicide, partaient pour un exil temporaire, les huguenots acquéraient, en vertu de l’édit de Nantes (1598), le droit de vivre pacifiquement à côté des catholiques et de prier à leur guise, en observant les lois du royaume. Pendant une douzaine d’années encore, la nation française vécut presque complètement en paix, sauf de petites guerres du côté des Alpes et du Jura, et l’on dît, mais sans preuves statistiques formelles, que la population se serait accrue de trois millions d’âmes — s’élevant de dix à treize millions — à l’époque même où l’Espagne perdait un nombre égal d’habitants. Henri préparait, il est vrai, ses finances et son armée pour de nouveaux et sanglants conflits : il semblait presque inévitable qu’un choc se produisît entre les troupes françaises et celles de la maison d’Autriche, les maux de la guerre allaient recommencer, lorsque Henri IV, poignardé par Ravaillac, laissa le pays s’accommoder à de nouvelles conjonctures, sous la régence de la Florentine Marie de Médicis et de ses favoris italiens.

D’ailleurs, aidé dans sa mémoire par la propagande officielle de l’Eglise et de la noblesse royaliste, le peuple se souvient encore vaguement d’Henri IV, surtout à cause des vices d’inconstance et de luxure par lesquels il lui ressemble, mais il lui sait également gré de n’avoir point haï ses sujets, comme le font la plupart des maîtres. Henri IV a laissé la réputation d’avoir voulu que le pauvre ne souffrît pas de la faim,