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l’homme et la terre. — colonies

pointe du continent, les glaciers, les éboulis, les moraines, les roches, abruptes et les forêts devaient aussi réduire la surface des terres, d’ailleurs avares, où les derniers des indigènes menaient leur rude existence. Dans le grand triangle de l’Amérique méridionale, certains plateaux des Andes non encombrés de neiges ou de laves, ou non revêtus d’infranchissables forêts, ainsi que diverses régions intermédiaires entre la plaine et la montagne étaient donc les seules contrées qui pussent favoriser le développement de tribus en nations policées, grâce aux bonnes conditions du sol et du climat, à l’ampleur et à la cohésion suffisante du territoire.

Le semis des Antilles, petites et grandes, présente une variété singulière de formes avec une diversité correspondante de conditions faisant de l’île ou d’une de ses parties un lieu de séjour pénible ou désirable ; mais la plupart de ces terres sont de véritables paradis par la beauté des paysages, l’abondance des eaux, la richesse de la végétation : à la vue de certifiées Antilles, on se demande si peut-être le spectacle que l’on a sous les yeux n’est pas le plus merveilleux de la planète entière ; à la splendeur des lignes et à l’éclat de la lumière, les Antilles ajoutent la facilité d’accès par une mer souvent calme, parcourue de vents réguliers : sans peine on se meut d’une île à l’autre, et c’est ainsi que purent se rencontrer et s’instruire mutuellement des gens de races, très différentes, venus du continent américain septentrional ou bien des terres serpentines qui se déroulent à l’ouest.

Malheureusement cette même libre entrée qui favorisait les amis laissait aussi pénétrer les ennemis, et des guerres d’extermination avaient souvent défait l’œuvre longue de la paix ; même des Caraïbes anthropophages, les « Cannibales » que rencontra Colomb, et qui venaient probablement de l’Amérique du Sud, où vit encore le gros de la race, s’étaient installés sur les côtes orientales de la grande île Espanola.

Malgré les retours vers la barbarie causés par les guerres atroces, des civilisations avaient pu naître du contact des immigrants de milieux différents. Le peu de détails que les premiers visiteurs espagnols ont pu nous donner sur les mœurs et la culture intellectuelle et morale des Cebuneyes d’Haïti et de Cuba suffit pour montrer que ces nations insulaires avaient depuis longtemps dépassé la sauvagerie primitive et que même elles étaient incomparablement supérieures, par la mansuétude, la bonté, l’esprit de justice, à l’atroce bande des aventuriers espa-