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l’homme et la terre. — colonies

Où commençait, où finissait son empire ? Tous l’ignoraient, et le prétendu maître, perdu dans l’orgueil insensé de son pouvoir divin, le savait encore moins. Pendant la première période de folie héroïque, aux temps de la découverte et de la conquête, tout semblait facile et le devenait réellement, les conquérants se trouvant portés comme par une sorte de délire et marchant d’ailleurs dans la pleine initiative de leur volonté. Mais quand l’heure fut venue de mettre en mouvement la machine immense, on s’aperçut que le point d’appui manquait. Séville ou Madrid ne pouvaient soulever le bras de levier qui s’étendait aux extrémités du monde ; des années se passaient avant que telle nouvelle, d’ailleurs mal comprise, parvînt de l’Amérique ou des Philippines jusqu’au souverain, que tel ou tel ordre fut transmis à des capitaines, qui peut-être étaient déjà morts. Ainsi que le dit un historien du dix septième siècle, « c’est un vaisseau difficile à gouverner que celui qui a sa poupe dans l’Océan Atlantique et sa proue dans la mer des Indes ».

La fin du règne de Philippe II, qui fut en même temps la fin du siècle, réunit le semblant de la toute-puissance à une décadence lamentable. De même qu’à une époque antérieure le pape Adrien IV avait fait cadeau de l’Irlande au roi Henri II, lui envoyant la pierre d’émeraude symbolique, de même Sixte Quint avait conféré ce royaume à son bien-aimé fils Philippe II (1587) ; mais, pour rendre le présent effectif, il aurait fallu transformer le donataire en homme de vouloir et d’action, l’arracher à ses prières, à ses prosternements d’irrésolu et lui donner la maîtrise des tempêtes. Les quelques bandes d’Espagnols qu’on envoya pour soutenir les révoltés irlandais ne purent faire que d’inutiles campagnes de partisans, puis la formidable flotte, l’Armada par excellence, qui comprenait 131 navires de guerre montés par 7 000 marins et 17 000 soldats, se dispersa presque sans choc, ridicule jouet des vents et des flots : des récifs de la Manche à ceux de la mer d’Irlande et des Hébrides, tout le littoral fut jonché des épaves de galères brisées : les 20 navires d’Elisabeth n’eurent qu’à en ramasser les débris. Puis, quelques années après, des bâtiments anglais vinrent par bravade jusque devant le port de Cadiz brûler une flottille ennemie. Déjà le corsaire Drake, qui, le premier parmi les marins étrangers, contourna l’Amérique par le détroit de Magellan (1578), parcourait les mers dans tous les sens pour enlever des galions espagnols, assaillir des forteresses lointaines, humilier de toutes les façons les sujets de Philippe II. Il ne