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saint françois xavier

De même que les jésuites restaient jusqu’à un certain point supérieurs aux protestants par une compréhension autrement large du cœur humain, puisque, ne voulant négliger aucune des forces par lesquelles on peut influencer les hommes, ils avaient fait une place à l’art, de même ils avaient également dépassé leurs ennemis et rivaux par leur ardeur à la propagande. Ils avaient compris que, pour garder les avantages de l’attaque, il fallait reprendre l’œuvre des missions abandonnées depuis les croisades et fermer le monde aux protestants, par la conversion des peuples païens. Dès 1541, c’est-à-dire une année seulement après la constitution de la Société de Jésus, l’un des compagnons immédiats de Loyola, né comme lui dans une vallée pyrénéenne, Francesco de Javier ou Xavier, partait pour aller évangéliser les nations des grandes Indes, à la fois comme envoyé spirituel du pape et comme délégué civil des rois de Portugal. Il visita en effet l’Inde péninsulaire et, en 1549, le Japon. Son œuvre de conversion fut certainement considérable et l’on raconte merveilles des peuples accourant à sa voix pour se faire ondoyer au nom de Yaso, c’est-à-dire de Jésus, que l’on croyait être une nouvelle incarnation du Buddha. Mais au milieu de tous les miracles que on attribue au saint François Xavier, il est malaisé de discerner la véritable existence de l’apôtre : ses amis restés en Europe en firent presque un Dieu. Lorsqu’il mourut à Goa, son tombeau devint un lieu de pèlerinage ; son corps reçut même le titre de gouverneur des Indes, de vice-roi, de capitaine général, et les vrais dignitaires furent censés se faire conférer par lui leur délégation au pouvoir. Au milieu du dix huitième siècle, quand les Portugais n’avaient déjà plus qu’une ombre de puissance à défendre dans la péninsule gangétique, saint François Xavier fut officiellement chargé dans le ciel de « protéger les Indes ».

Le glorieux apostolat de Xavier, si remarquable qu’il fût en réalité, sans l’auréole de miracles ajoutée par les dévots, ne fut cependant pas la plus étonnante de toutes les missions envoyées par la Compagnie de Jésus dans le monde des infidèles. Durant sa période de grandeur, l’ordre des jésuites donna des preuves vraiment prodigieuses de la cohésion sans pareille de son organisme, dont les membres, fraternellement unis, travaillaient de concert à des œuvres si diverses et en apparence contradictoires ; tandis que, d’un côté, la pensée directrice de l’ordre employait les intelligences les plus souples, les casuistes les plus déliés à la machination, à la conduite et à la solution des intrigues de cour, elle