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l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

Luther se moque de Copernic, et Melanchton le combat avec âpreté[1]. Théodore de Bèze, l’ami et le continuateur fanatique de Calvin, écrivait à Ramus : « Les Genevois ont décrété une bonne fois et pour jamais que, ni en logique ni en aucune autre branche du savoir, on ne s’écarterait chez eux des sentiments d’Aristote ». De même les statuts de l’Université d’Oxford portaient que « tous bacheliers et maîtres es arts ne suivant pas exactement Aristote seraient passibles d’une amende de 5 shillings par point de divergence » ; et c’est même ce règlement qui fit chasser Giordano Bruno de l’université anglaise où il s’était retiré.

Chacun de son côté, le protestantisme et le jésuitisme exercèrent l’influence la plus néfaste sur la vie universitaire : tandis que les premières universités s’étaient constituées sur le modèle des villes libres, en communautés autonomes, vivant de leur propre vie, sans ingérence de l’État, et laissant aux étudiants l’initiative des recherches indépendantes, luthériens, calvinistes et jésuites, également âpres à la conquête du pouvoir, ne visaient qu’à transformer les hautes écoles en établissements d’Église et d’État, leur fournissant, sous la surveillance d’une police redoutable, le personnel nécessaire de propagandistes et de serviteurs.

Un écrivain catholique l’a démontré avec surabondance de textes et documents à l’appui[2], l’Allemagne était en pleine voie de prospérité intellectuelle pendant le siècle qui précéda la Réforme, et ce dernier mouvement avec l’aide de son frère ennemi, l’ordre de Jésus, eut pour résultat prompt et décisif d’enrayer tous les progrès. La réaction se produisit avec ensemble dans les deux camps contre l’esprit de liberté qui avait soufflé pendant la Renaissance. La pensée s’était indûment émancipée au quinzième siècle, elle s’était dégagée graduellement de la contrainte intellectuelle exercée par l’Église : elle était devenue plus humaine, plus intéressée aux phénomènes de la vie, à l’observation de la nature, à la recherche expérimentale du bonheur terrestre qu’aux spéculations métaphysiques et à la préparation mystique du salut. La Renaissance avait déplacé l’axe de la pensée, le reportant des mystères de la vie future aux problèmes de la vie présente, et de l’histoire étroite du christianisme à celle du monde en son ensemble. Mais la révolte de Luther ramena violemment la société contemporaine à la foi du Christ et, du coup, les catho-

  1. S. Gunther, Der Humanismus in seinem Einfluss auf die Enwiekelung der Erdkunde, Géographen-Kongress zu Berlin, 1899.
  2. Johann Janssen, Geschiehte des deutschen Volkes, seit dem Ausgang des Mittelalters.