Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
369
éducation cléricale

leur collège directeur perpétuel de toute l’Université, « cassant et annulant le droit que d’autres pourraient y prétendre ». La même ordonnance soumettait à la juridiction des jésuites « tous les collèges et petites écoles du royaume, tant ceux qui sont établis que ceux qui s’établiront à l’avenir » !

L’enseignement dont ils cherchaient ainsi à conquérir le monopole et qu’ils réussissaient en effet à s’assurer dans quelques contrées ne pouvait évidemment guère différer de celui qui avait été départi par les moines des siècles précédents : les pères se distinguaient seulement par l’art avec lequel ils savaient flatter les passions de leurs élèves, très habiles à se concilier pour leurs projets futurs le concours des puissants, des riches et des ambitieux intelligents, en les maintenant au point de vue du dogme dans une foi complètement irraisonnée et par conséquent inébranlable : l’étude du latin, la mémoire des périodes retentissantes et des mots sonores devaient remplacer les recherches personnelles. Par une singulière coïncidence, prouvant bien qu’au fond les compétiteurs pour la conquête du pouvoir, les protestants et les jésuites, devaient avoir recours aux mêmes moyens et ne différaient pas autant que la haine mutuelle le leur faisait imaginer, les uns et les autres procédaient de la même manière et suivant les mêmes méthodes d’instruction, les jésuites avec plus de grâce, de goût et d’habileté, les protestants avec plus de sérieux et de raideur. Mais Aristote et les pères de l’Église étaient également les génies inspirateurs des écoles de l’un et de l’autre culte. Devenus protestants par esprit de conservation, par haine de l’évolution qui s’était accomplie dans le monde religieux, Luther et les autres prétendu « réformateurs » de son temps étaient aussi les conservateurs des conceptions antiques dans le monde des idées. Leur but essentiel était de réagir, de revenir en arrière, à l’époque où les « Livres saints » n’avaient pas encore été interprétés par l’évolution de l’Église contemporaine. Mais quant aux choses de la science profane, les protestants s’en tenaient à la stricte observance des doctrines adoptées par la Sorbonne. Aristote leur restait sacré, quoiqu’à un moindre degré que la Bible. Toute science était censée se trouver dans les ouvrages profanes de l’antiquité et, dès qu’on en avait fixé rigoureusement le texte, il ne restait plus qu’à s’incliner. Aussi les idées de Copernic furent-elles assez mal accueillies dans le monde protestant, dont les convictions bien arrêtées sur l’autorité divine absolue s’accommodaient fort d’un système géocentrique de l’univers.