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l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

soucieux encore de voir le feu dévorer les livres que les écrivains eux-mêmes. Julianillo, pour avoir introduit en Espagne des exemplaires de la Bible en langue vulgaire, fut enfermé trois ans, torturé vingt fois et bâillonné avant d’être brûlé en 1557. Suivant les opinions des historiens et les documents sur lesquels ils ont cru devoir s’appuyer, on évalue diversement le nombre des victimes condamnées au dernier supplice par l’inquisition en Espagne, sans compter les colonies. Quoi qu’il en soit, les résultats obtenus au delà des Pyrénées, en Languedoc, en Belgique, par l’Église vengeresse, prouvent amplement que la violence employée avec méthode et persévérance peut avoir raison des idées, et que celles-ci, quelle que soit leur excellence, ne triomphent point par leur seule supériorité, il leur faut être servies par des volontés tenaces et pendant des générations successives[1].

L’Église n’avait pas à son service que les cachots et les bûchers : elle put disposer aussi fréquemment de massacreurs en grand. Les guerres dites de « religion », quoique les convictions intimes n’entrassent dans ces luttes que pour une faible part, aidèrent en mainte contrée, en France notamment, au triomphe du catholicisme. Les hommes de guerre se jetaient avec indifférence dans l’un ou l’autre parti, suivant les chances de succès, « Un jour, dit Gôtz von Berlichingen, nous allions commencer le combat, un berger se trouvait tout près de nous, gardant ses moutons, lorsque, comme pour nous donner le signal, cinq loups se jettent en même temps sur le troupeau. Je leur souhaitai heureuse réussite, et à nous aussi, leur disant : « Bonne chance, chers compagnons ! Bon succès à vous en tous lieux » ! Parmi les illustres victimes de l’intolérance, il faut aussi compter les savants que poursuivaient des haines littéraires, des envies d’impuissants, de basses rancunes. L’un des plus grands parmi les hommes, Kepler, fut souvent persécuté, et sa mère fut poursuivie comme sorcière : il mourut de faim. Étienne Dolet fut brûlé, jeune encore, parce qu’il était imprimeur et qu’il n’observait pas l’orthodoxie classique en parlant d’Aristote. Pour semblable irrévérence vis-à-vis du grand homme, d’abord honni, puis adopté par l’Église, Campanella, s’étant permis d’avancer que toute nouveauté n’est pas périlleuse pour le dogme, passa vingt-sept ans dans les cachots. Giordano Bruno, qui, entre autres hérésies, opposait au monde fini

  1. Louis Braud, Trois Siècles de l’Histoire du Languedoc.