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l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

ennemie l’eut acceptée pour qu’elle la refusât. Il est vrai que la reine Elisabeth s’empara des biens du clergé catholique pour en doter les prélats anglicans, mais ceux-ci n’en restèrent pas moins étrangers au troupeau des fidèles qu’on leur avait distribués comme tenanciers et corvéables. Des révoltes éclatèrent en beaucoup d’endroits, et les quarante dernières années du seizième siècle furent employées par les armées anglaises soit à maintenir violemment soit à reconquérir l’ « île sœur ». L’émigration, qui devait prendre, trois siècles plus tard, une importance démographique si considérable, avait déjà commencé, non dans la masse du peuple, il est vrai, mais dans les familles nobles : nombre de jeunes gens quittaient, l’Irlande pour aller servir dans les armées de la France ou de l’Espagne, sans crainte, ou plutôt dans l’espérance d’avoir à combattre les Anglais. Même plusieurs fois des émigrés, accompagnés de troupes espagnoles, débarquèrent sur les côtes méridionales de l’Irlande pour y soutenir une guerre de partisans contre les envahisseurs britanniques. C’est en 1602 seulement que l’ile fut complètement déblayée de ses bandes de révoltés. Mais, réduits à subir la paix, les Irlandais frémissants n’en restèrent pas moins les ennemis de l’Angleterre, doublement ennemis étant doublement opprimés, comme Irlandais d’abord et comme catholiques.

Le mouvement de la Réforme aboutit à changer à fond le catholicisme lui-même : tout en persécutant les huguenots, les papistes ardents n’en devenaient pas moins des protestants sans le savoir. Avant le schisme, le catholicisme, fondu avec la Renaissance classique, se montrait admirablement sous un double caractère de « christianisme paganisé ». Religion à la fois mystique et sensuelle, il pouvait satisfaire les deux tendances primordiales et contradictoires de l’humanité, qui sont de vivre à la fois dans le fini et dans l’infini. Lorsque Luther et Calvin, les continuateurs directs de l’âpre saint Paul, prêchèrent le retour à la simplicité de l’Evangile, le catholicisme, obligé par les nécessités de la lutte de se débarrasser des éléments païens et de la part artistique de sa vie, devint à son tour une sorte de « protestantisme hiérarchisé » ayant perdu sa raison d’être et se rattachant au passé plus par la tradition que par le génie[1]. Des deux tendances

  1. Remy de Gourmont, Revue Blanche, 1er avril 1898, p. 488.