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l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

révolté, et si nombreux que fussent ses puissants amis pour le protéger contre l’ire de l’empereur et du pape, il n’en courait pas moins de grands dangers, et Frédéric lui rendit le service de le soustraire aux effets du ban de l’empire en l’enfermant pendant une année dans la forteresse de la Wartburg, en Thuringe, prison grandiose d’où il lança sur le monde ses cris de guerre contre Rome et ses diatribes violentes et joyeuses contre tous ses ennemis : c’est là aussi qu’il commença cette savoureuse traduction de la Bible dans le dialecte saxon du haut allemand qui, plus que toutes les œuvres analogues, nombreuses à cette époque, fut accueillie par les fidèles, fixant ainsi en un idiome sacré la langue allemande écrite, d’une manière définitive. Quand Luther sortit de sa haute résidence, qui avait été pour lui presque un Sinaï, un mont Tabor, il avait désormais son auréole de puissance et de gloire : son prestige le défendait contre Charles Quint, et le culte luthérien se constituait tel qu’il s’est maintenu de nos jours.

Naturellement, Luther eut voulu arrêter la Réforme et tout progrès humain dépassant l’œuvre qu’il avait accomplie : il prêchait l’abolition de certaines coutumes qui dans l’Eglise catholique lui paraissaient en dehors de l’enseignement direct des Ecritures : intercession des saints, purgatoire et rachat des âmes, confession auriculaire, célibat des prêtres ; mais il ne possédait pas l’art de conjurer les esprits déchaînés de la pensée libre et de la révolte ; il ne pouvait arrêter le cours de ce fleuve débordé dont il avait levé les écluses. Or, les rebellions étaient d’autant plus inévitables que le monde des paysans devenait plus malheureux depuis que la société bourgeoise avait commencé de se substituer au régime féodal. L’existence du laboureur, déjà si difficile à supporter, était maintenant plus intolérable encore et le poussait à la révolution par le souvenir d’un passé moins mauvais, comparé avec l’abominable asservissement qui devenait la règle.

Un nouvel instrument de savante oppression se trouvait entre les mains des puissants, grâce à la substitution graduelle de l’âpre droit romain aux anciens droits coutumiers[1]. Au milieu du quinzième siècle, le servage n’existait plus guère que chez les paysans slaves de l’ancienne Poméranie, dans les contrées qu’avaient asservies les

  1. Richard Heath, Anabaptism, p. 9.