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l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

idées ; même l’esprit de révolte, qui avait poussé tant de paysans dans les guerres, expéditions de pillage et jacqueries, agit aussi d’une manière indirecte pour entraîner de nombreuses communautés rurales hors de l’Église romaine, simple changement rituel qui n’aurait eu aucune importance en soi si la classe menacée des prêtres n’avait pas suscité la guerre civile pour garder ses prébendes. Mais la masse du peuple n’était pas assez passionnée, assez remuée dans ses profondeurs morales par la chance de lire et d’interpréter la « parole divine » sans l’intermédiaire du curé de la paroisse, pour que cette idée pût le faire se jeter de toute son âme dans les fureurs des guerres religieuses.

Il est vrai que les conséquences économiques de la suppression des couvents et des propriétés de l’Église auraient pu l’intéresser directement s’il avait eu la perspective d’être l’héritier des moines et des prêtres, mais on lui fit aussitôt comprendre que, manant corvéable il avait été dans le siècle de saint Bernard et que manant corvéable il resterait dans celui de Luther et de Calvin. Assez populaire chez les ruraux de France, dans le deuxième quart du seizième siècle, le mouvement de la Réforme finit par leur devenir indifférent lorsqu’ils eurent bien reconnu n’avoir reçu de lui ni liberté, ni bien-être. Lors de la révolte de 1548, qui, de l’Agenois au Poitou et de la Saintonge à la Marche, souleva les habitants contre les rigueurs de la gabelle, les divergences religieuses ne jouèrent aucun rôle ; pas un seul calviniste ne semble avoir protesté contre l’égorgement de milliers de paysans.

Une partie notable de l’aristocratie française, et notamment la noblesse du Midi, qui trouvait amplement son profit au transfert des biens ecclésiastiques, unissant ses intérêts à ceux des « huguenots » pendant les guerres dites de religion — en réalité des guerres sous prétexte de religion[1] —, la France fut moins partagée entre deux cultes qu’entre deux partis politiques en lutte pour la conquête du pouvoir. A la fin, la guerre religieuse, compliquée de massacres tels que celui de la Saint-Barthélémy, se transforma en une guerre dynastique entre la famille épuisée des Valois et la puissante maison des Guise. Puis, quand le poignard eut fait son œuvre, d’abord par le meurtre de Guise, ensuite par celui de Henri III, les armées protestantes se confondirent avec celles de la royauté, devenue légitime, puisque Henri de Navarre, leur

  1. Edm. Demolins, A-t-on Intérêt à s’emparer du Pouvoir ?