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l’homme et la terre. — la renaissance

intérieure. Le premier résultat avait été de déplacer tout le centre de gravité vers l’Ouest : Venise ayant été remplacée par Lisbonne comme marché d’importation des Indes, les entrepôts de l’Europe centrale eurent à subir un mouvement général de traction dans le sens de l’Occident, les voies majeures changèrent de direction et quelques grandes villes de l’Est perdirent leur ancienne activité. Breslau, notamment, fut découronnée au profit de Leipzig, tandis que les cités occidentales de l’Allemagne, surtout celles de l’angle du sud-ouest, gagnèrent en importance relative[1].

Aussi longtemps que le Portugal, maître du chemin des Indes, conserva la prépondérance dans les échanges avec le monde des épices. Augsbourg et Nürnberg, en très bons rapports avec Lisbonne, réussirent à profiter indirectement de la nouvelle voie qui s’était ouverte au commerce du monde ; même des négociants d’Allemagne, avec leurs secrétaires et leurs employés, furent autorisés à prendre part aux expéditions vers l’Inde et à joindre quelques bâtiments au convoi de la flotte royale[2]. Mais de l’Allemagne à Lisbonne, ainsi qu’à Séville et à Cadiz, les ports d’expédition de l’Espagne, la route était beaucoup plus longue que jusqu’à Venise et à Gênes, et surtout elle avait à franchir les nombreuses redoutables douanes intermédiaires en France et en Espagne. Les dangers étaient plus grands, les voyages plus dispendieux, de gros capitalistes seuls pouvaient se risquer à ce fructueux commerce des épices, et il fallut que de très puissants syndicats unissent leurs capitaux pour l’exploitation de ce trafic : leur richesse s’en accrut, et en conséquence leur audace : graduellement ces « compagnies générales » accaparèrent les blés, les vins, la viande, aussi bien que les denrées coloniales, et la société tout entière fut de plus en plus pressurée par elles. Le monopole de ces compagnies, substitué à celui des Juifs, s’étendit également sur les mines, et l’enchérissement général se produisit pour tous les objets de première nécessité : ce n’est pas aux mines du Nouveau Monde, comme on le croit d’ordinaire, mais à celles de l’Europe centrale que, par un mouvement parallèle, on dut en Allemagne la grande dépréciation de l’argent[3].

Ce déplacement de la puissance se produisit également en Russie, et, pour une bonne part, sous l’influence des mêmes causes. La république de Novgorod n’était plus « toute puissante », et la jalousie de ses

  1. J. Partsch, Lage und Bedeutung Breslau’s, page 7.
  2. F. Kunstmann, Historisch-politische Blatter. 48, 1861.
  3. J. Janssen. ouvrage cité, p. 384.