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l’homme et la terre. — la renaissance

la force ! Ce fut une époque de ravissement à laquelle le menu peuple prenait part, enchanté de voir les œuvres merveilleuses des siens. En même temps, les peintres, rendus audacieux par leurs progrès, se lançaient dans la voie des découvertes : ils s’instruisaient dans la science de l’anatomie, apprenaient les lois de la perspective, trouvaient des procédés nouveaux pour la préparation des couleurs et le métier de la peinture. Ce fut un âge d’or dans le monde des artistes italiens et, par extension, dans toutes les parties de l’Europe occidentale où des conditions analogues avaient fait naître les citoyens à la compréhension de la beauté. Les cités flamandes et les villes industrielles de l’Allemagne centrale, qui avaient passé par l’éducation première de la vie communale et chez lesquelles l’émancipation de la pensée avait libéré l’initiative individuelle, devinrent notamment, par la pratique et l’appréciation de l’art, autant de petites Italies, mais chacune avec son originalité propre.

Quel merveilleux centre de poésie, de science et d’art fut la cité de Nürnberg (Nuremberg), non moins curieuse que Florence ! Ainsi que le constate un auteur du temps[1], « l’abondance et la richesse y étaient apportées par sept peuples différents, Hongrois, Esclavons, Turcs, Arabes, Français, Anglais et Hollandais ». C’est dire que toute l’Europe et l’Orient méditerranéen trafiquaient avec la grande cité industrielle. Aussi longtemps que Venise et Gênes étaient restées en relations avec l’Inde et l’intérieur de l’Asie par leurs voies respectives, Nürnberg, Augsbourg avaient gardé une importance de premier ordre pour la répartition des précieuses denrées dans le centre de l’Europe, et ces villes, la première surtout, savaient consacrer une part considérable de leurs profits à la glorification du travail et à la splendeur de l’art. Admirable monde d’artistes vraiment hommes que celui de la glorieuse Renaissance germanique, sœur de la Renaissance italienne. Ne cherchant qu’à bien faire, mais ne voulant point en tirer honneur, nombre de ces artistes sont restés anonymes : leur œuvre était parfaite, mais ils furent volontairement inconnus. Architectes, sculpteurs, orfèvres, peintres, verriers, miniaturistes vivaient en ouvriers, en frères de corporation, mangeant et devisant ensemble. Un Adam Krafft se disait « tailleur de pierres » ; un Peter Vischer était « chaudronnier »[2] et se représente en costume de travailleur au tombeau de

  1. Rosenplut.
  2. J. Jansson, L’Allemagne à la Fin du Moyen âge.