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l’homme et la terre. — la renaissance

duit entre la période de la Renaissance italienne et la grande époque de floraison hellénique. A deux mille ans d’intervalle, on voit également l’homme chercher à réaliser son idéal en force, en élégance, en charme personnel, ainsi qu’à se développer en valeur intellectuelle et en savoir. Tel est le mouvement de l’ « humanisme » dans son sens profond : l’individu tient à se révéler dans toute la splendeur de sa personne, débarrassé des multiples entraves des coutumes et des lois. Sans doute une élite bien faible par le nombre peut atteindre à la perfection voulue, mais c’est déjà beaucoup de le tenter, et, d’ailleurs, l’ensemble de la société se modèle toujours sur des types qui lui donnent leur caractère et en sont l’âme, pour ainsi dire. Aussi malgré les tyrannies locales, malgré les guerres civiles et étrangères, malgré le remous politique dans lequel tournoyaient les Etats, l’époque de la Renaissance n’en est pas moins une des plus remarquables de l’histoire, car la valeur des sociétés se mesure à celle des individualités fortes, conscientes d’elles mêmes, qui en surgissent. L’humanité future, telle que doit la préparer une éducation virile, ne sera-t-elle pas composée de pareils hommes, dont chacun pourrait se suffire à lui-même et recréer un monde autour de lui ?

Le mouvement du grand siècle de la Renaissance, continuant l’ancêtre Pétrarque, eut donc une bien autre portée que celle de créer des « humanistes » dans le sens étroit de ce mot : des hommes mettant leur gloire à parler en beau latin et voyant en un barbarisme le comble de l’opprobre. Non, l’humanisme, dans sa conception la plus haute, consistait, ainsi que son nom l’indique, dans la recherche de tout ce qui est « humain », de tout ce qui relève l’homme à ses yeux, le montre non seulement dans la pratique d’un « beau langage » — dicendi peritus — mais aussi dans l’exercice de toute bonté : noble, généreux, magnanime, et c’est parce que la littérature antique, grecque et latine, contient, sous la forme la plus belle, les pensées les plus profondes et la plus haute morale, c’est parce que tout le trésor des acquisitions humaines s’y trouve réuni que l’attention exclusive des hommes de la Renaissance s’est portée sur les écrivains de l’antiquité classique.

La révolution qui se produisait dans les esprits était, en sa vraie nature, essentiellement religieuse : l’homme, cessant d’être la victime du péché originel, reprenait sa pureté première et son droit de goûter librement aux fruits du paradis : malgré la défense antique, promulguée par toutes les Eglises qui se succédèrent dans l’histoire, il avait droit surtout