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l’homme et la terre. — découverte de la terre

Garcie ait pu tenter, depuis 1483, la rédaction d’un « Grand routier et pilotage et enseignement pour ancrer tant ès portz, havres que aultres lieux de la mer… tant des parties de France, Bretaigne, Angleterre, Espaignes, Flandres et haultes Almaignes ». Garcie, dit Ferrande, comme son nom l’indique, évidemment d’origine espagnole, demeurait en Vendée au port de Saint-Gilles-sur-Vie, et les renseignements qui suppléèrent à sa propre expérience lui venaient surtout des pilotes des ports compris entre Honfleur et « tout Brouage ». Ce précieux document, dû aux « maistres experts du noble, très subtil, habile, courtoys, hasardeux et dangereux art et mestier de la mer », fut réédité en de très nombreuses éditions françaises et anglaises ; pendant près de deux siècles, aucun livre du même genre, en aucun idiome, ne vint le remplacer[1].

A défaut de « routiers », les cartes, les portulans de la Méditerranée dressés par les pilotes italiens, provençaux, catalans, mahonais et majorquains étaient également fort nombreux, et les cartes parvenues jusqu’à nous font ressortir ce fait étrange : d’un côté la précision vraiment étonnante du dessin, de l’orientation, des distances et de tous les détails des côtes[2], de l’autre les erreurs grossières dans la direction des fleuves et des montagnes, dans l’évaluation des distances terrestres. Regardez la carte de Jean de Carignan datant de l’an 1300 environ : tout n’est que lamentable ignorance en dehors du tracé remarquablement exact des bassins se succédant du détroit de Gibraltar aux monts du Caucase, bien connus, grâce à la multiplicité des traversées qui avaient été effectuées en tous sens.

Par une singulière bizarrerie, le progrès de la science des livres eut certainement pour conséquence un recul dans l’art de la navigation. La foi réellement religieuse qu’éveillaient les œuvres des anciens devait créer des superstitions et, très souvent, substitua des idées fausses, tirées de l’antique, à des connaissances déjà précisées par les observateurs du moyen âge. Ainsi, lorsque les œuvres de Ptolémée se trouvèrent, sous leur forme primitive, dans les mains des géographes et des navigateurs au commencement du quinzième siècle, la Méditerranée reprit sur les cartes une forme incorrecte qui se perpétua même sur les portulans et dans les atlas jusqu’au commencement du dix-huitième siècle[3].

  1. A Pawlowski, Bull. de la Soc. de Géogr, Com. de Bordeaux, 17 fév. 1902.
  2. La Réveillère, La Conquête de l’Océan.
  3. Joachim Lelewell, Géographie du Moyen âge ; Cosimo Beriacchi, Soc. Géogr. Italiana, Sett. 1900, p. 759.