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l’homme et la terre. — les monarchies

monopole auquel « tout fut sacrifié ». Les autres ports et graus du littoral, de la Camargue au roc de Leucate, furent fermés au commerce, les rivières, Hérault, Orb, Aude déclarées closes : tous les navires, même ceux que leur destination eût dû faire passer au large d’Aigues-Mortes, reçurent l’ordre d’y accoster afin d’acquitter sur le montant de leur cargaison un droit de tonnage pour l’entretien du nouveau port. Et même l’absurde loi fut censée rester en vigueur quand le port d’Aigues-Mortes eut été rendu complètement impraticable par l’effet des alluvions[1]. C’est dire que le trafic maritime était défendu à la France méditerranéenne ; aussi le commerce fut-il rejeté forcément sur les contrées limitrophes. A l’autre extrémité du royaume, les procédés de protection industrielle et commerciale étaient également absurdes et pouvaient entraîner des conséquences atroces. Une ordonnance du 14 juillet 1315 proscrivit tous les Flamands, les expulsant, du royaume de France, sous peine d’être condamnés « à être serfs et esclaves ». Et s’il en restait encore « après l’octave de la Madeleine », on devait les mettre à mort « sans attendre aucun jugement et en quelque lieu qu’ils fussent pris. »[2].

Au milieu du treizième siècle, Bordeaux, heureuse de n’être point protégée, devenait commune de plein droit, nommant son maire sans intervention du suzerain et s’alliant même directement avec Bruges, la cité républicaine des Flandres[3]. Tandis que les rois de France, forts du droit brutal donné par la conquête, secondés par les percepteurs d’impôts et la hiérarchie administrative, opprimaient ou supprimaient les communes, les rois d’Angleterre opposaient savamment les intérêts des Aquitains aux ambitions de la France. Certes, ils n’auraient pu faire naître un patriotisme anglais spontané : les mœurs, la langue, le milieu s’opposant à la fusion des volontés dans les deux patries respectives ; du moins Bordeaux et les villes de la Guyenne comprenaient-elles parfaitement bien qu’elles avaient tout avantage matériel à rester sous la suzeraineté anglaise et, loin d’aider la France dans ses luttes contre les insulaires, s’efforçaient-elles de resserrer avec ceux ci les liens traditionnels de l’amitié. Une seule révolte eut lieu, provoquée en 1365 par les taxes arbitraires du Prince Noir, mais cette expérience suffit et les maîtres étrangers eurent le bon sens de ne pas répéter la tentative.

  1. A. Duponchel, Introduction à la Géographie générale du département de l’Hérault, pp. 62, 65.
  2. Alphonse de Hauteville, les Aptitudes Colonisatrices des Belges, p. 119.
  3. D. Brissaud, ouvrage cité, pp. 230, 231.