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l’homme et la terre. — les monarchies

la Poméranie devinrent des terres tout à fait allemandes, et, sous le commandement de Hermann von Salza, 1330−1337, les chevaliers teutoniques fondèrent des colonies d’Allemands dans les provinces « baltiques » de Courlande, de Livonie et d’Ehstonie.

Même dans le plus grand péril de guerre, l’Allemagne, unie par le sentiment du danger, pouvait se passer de l’empereur. Ainsi, lorsque les Mongols, après avoir triomphé de toute résistance dans les contrées de l’Europe orientale, se ruèrent contre les pays allemands, en 1241, l’empereur régnant, Frédéric II, semble n’avoir eu aucune part à la résistance, même par sa diplomatie, ce furent les populations des pays immédiatement menacés, surtout la Moravie et la Silésie, Slaves et Allemands, qui soutinrent le terrible choc à la bataille de Liegnitz et, quoique vaincus, par leur attitude firent comprendre aux vainqueurs qu’il était plus sûr de ne pas pousser plus avant ; l’invasion mongole, déviant vers le Sud, alla se disperser sur les côtes de la Dalmatie. En dépit de l’ « interrègne » de près d’un quart de siècle (1254 à 1273), l’Allemagne ne cessa de prospérer moralement en puissance et en civilisation ; on nomma des rois, mais comme des êtres virtuels, choisis en pays étranger et gardant leurs noms. On n’avait pas à craindre l’intervention de Guillaume de Hollande, Richard de Cornwales, Alphonse de Castille : princes et peuples allemands se passaient d’eux, comme ils s’étaient passés des Hohenstaufen italiens.

C’est qu’une importante évolution s’accomplissait alors dans l’idée que les Allemands se faisaient du pouvoir impérial. A l’origine, le souvenir prestigieux de l’ancien empire romain dominait tellement les esprits que les ambitieux se donnaient pour but unique de le continuer : c’est à Rome qu’ils devaient être sacrés, et si la traversée des Alpes donnait lieu à de grandes dépenses pour l’entretien du cortège, le voyage en pleine Italie, entre des cités souvent hostiles et sous la menace constante d’assauts et de révolutions locales, les obligeait à se faire accompagner d’une armée ; chaque visite d’apparat se transformait en campagne de guerre. La dernière expédition de ce genre, celle de Conrad IV, fils de Frédéric II, s’était même terminée de la manière la plus fatale. Charles d’Anjou s’était emparé de l’Italie du sud et de la Sicile au détriment de l’empire, et le fils de Conrad, le jeune et gracieux Conradin, dernier des Hohenstaufen, fut publiquement décapité à Naples (1368), tragique aventure que le romantisme patriotique des Allemands ne pardonna