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l’homme et la terre. — orient chinois

pourtour du bassin du Tarim par exemple, et le rhinocéros ne se voit que dans la haute vallée du Si-kiang où de vastes forêts, presque désertes, s’étendent au loin vers l’Indo-Chine. De même, la flore arborescente spontanée manque presque complètement depuis des siècles dans les provinces populeuses. Les communes qui surveillent avec soin le bon état des champs ne tolèrent pas l’apparition des herbes, ni d’arbustes sauvages et, à plus forte raison déracinerait-on les arbres poussant leur tige dans cette terre déjà dix mille fois retournée depuis les premiers temps de la colonisation. Les arbres n’étaient et ne sont tolérés qu’autour des cimetières, où les campagnards se gardent d’aller couper des branches, la tradition leur défendant de toucher ces bois sacrés, si ce n’est aux changements de dynastie. Dans les districts où les Chinois manquent de combustible, ils ont depuis longtemps pris l’habitude de ne se point chauffer : en hiver ils se contentent de doubles vêtements, de toisons et de pelleteries.

Ailleurs, au contraire, les populations d’Extrême Orient ont de beaucoup devancé les Occidentaux : l’utilisation de la houille date, en Chine, de temps immémoriaux : dans le haut bassin du Yang-tse, un important service de batellerie dessert le commerce houiller[1] ; en Mandchourie, on a retrouvé d’anciens travaux d’excavation par puits verticaux, dénotant un haut degré de développement technique.

Les constructions chinoises se ressentent nettement de l’influence ancestrale du nomade et montrent comment une survivance de formes s’associe à une différence d’interprétation. En quittant un milieu pour un autre, l’émigrant emporte toujours avec lui des objets dont les formes répondent à l’environnement primitif, mais qu’il cesse bientôt de comprendre dans les nouveaux horizons qui l’entourent. Toutefois, l’homme ne reste pas sans explication, fausse ou vraie, de tout ce qu’il voit autour de lui, à bien plus forte raison quand il s’agit d’une chose fabriquée de ses mains, suivant une routine traditionnelle. Ainsi, les angles des tentes mongoles, recourbés par le poids des feutres ou autres étoffes employées, se dessinaient en l’air en une courbe élégante qui s’expliquait d’elle-même ; mais quand les nomades furent devenus résidants et que les tentes eurent été remplacées par des maisons de bois ou de faïence présentant la même courbe gracieuse aux quatre

  1. Isabella L. Bishop, Journal of the R. Geographical Society, 1897, II. p. 12.