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l’homme et la terre. — inde

l’instruction chez les femmes et les enfants aussi bien que chez les hommes. Le long des routes, on creuse des fontaines de distance en distance et l’on plante des rangées d’arbres fruitiers pour les voyageurs. Toutes les villes ont leurs hôpitaux pour les hommes et les bêtes malades. Les rois, en de grandes fêtes, nourrissaient leur peuple et les étrangers, et le repas immense était présidé au jour du « grand renoncement » par le souverain revêtu de haillons : mais cet homme aux habits en loques n’en était pas moins le maître, et ce repas en commun ne provenait pas de la récolte collective, mais de l’impôt recueilli par les exacteurs.

Quarante inscriptions gravées sur des piliers, sur des rocs, à l’entrée des cavernes réputées saintes, rappelaient ses devoirs au peuple et l’engageaient à la propagande religieuse, non par l’épée mais par la parole. Quelques-uns de ces sermons lapidaires existent encore et témoignent du zèle qui animait à cette époque les missionnaires chargés de répandre la vraie foi : certes, ils devaient être poussés par une singulière force, ces apôtres qui surent assouplir un demi-milliard d’hommes d’une manière plus ou moins complète aux formes extérieures du bouddhisme ! Jusque dans le Pamir, à Tach-kurgan, le « Pierre-mont », où de tout temps se sont arrêtés les voyageurs et pèlerins, on a découvert les vestiges d’un ancien stoupa dont Açoka aurait été le constructeur[1].

Mais dans la péninsule même de l’Inde le culte du Buddha disparut presque complètement, sans doute à l’aide de quelques petites persécutions, toutefois d’une manière assez pacifique en somme. Néanmoins les effets de la révolution sociale et morale produite par l’ébranlement temporaire des castes avaient été si puissants que la société tout entière en fut renouvelée. En vertu de cet énergique appel fait à l’individualité humaine, on vit de toutes parts se dresser de beaux temples ornés de statues, d’élégantes dagoba couronner les rochers et les montagnes ; la poésie et la science eurent alors leur grande époque : Panini composa sa grammaire qui devint le modèle de tous les autres ouvrages du même genre et les rhapsodes se mirent à chanter les 220 000 vers de l’immense Mahâbhârata. Le même souffle de douceur infinie qui avait inspiré le Buddha pénétra aussi les poètes qui nous montrent

  1. A. Stein, Report on a Journey of… Exploration in Chinese Turkestan.