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naissance, mais aussi par l’étude, par l’obéissance aux professeurs et l’assouplissement aux formules, souvent aussi par le renoncement et les macérations, n’arrivait pas toutefois à les rendre heureux, et, tout dieux qu’ils fussent, ils avaient à chercher ce bonheur qui les avait fuis. Ce fut là certainement une des causes de la grande révolution religieuse qui se produisit sous le nom de bouddhisme, quoique cette cause n’eût d’action que sur les hommes ayant le loisir nécessaire pour se livrer aux spéculations de l’esprit : une révolution profonde, remuant la masse entière de la nation, ne pouvait se faire sans jaillir du fond même des conditions sociales. Si les origines essentielles du mouvement bouddhique ont été oubliées et même ignorées, c’est que les historiens auxquels manquent les renseignements précis du temps sont naturellement portés à se contenter des seuls vestiges authentiques et certains qui sont à leur disposition : ils étudient seulement les dogmes et les enseignements religieux, l’organisation ecclésiastique, les mille détails subséquents des luttes qui suivirent les événements inconnus de l’explosion première. Et cette manière de procéder les expose à se tromper du tout au tout, c’est-à-dire à confondre la fin avec le commencement, à voir l’évolution régressive à la place de la période de formation, à étudier les institutions issues du mouvement et non les raisons mêmes qui le déterminèrent. Ils se trouvent dans la situation d’un peintre qui, n’ayant jamais pénétré dans une cité splendide, s’ingénierait à en représenter l’aspect d’après les ruelles et les sentiers des faubourgs.

Dans ces conditions, l’illusion de l’optique intellectuelle est fatale, d’autant plus que, par le développement même des idées en fermentation, la lutte des forces prend des caractères tout différents à l’origine des événements, au cœur du conflit et vers la période de retour qui fait suite à la crise. Ce qui se serait présenté tout d’abord comme une révolution sociale ne paraît être à la fin qu’une simple restauration de l’état antique des choses.

On a pu constater ce contraste des idées d’une manière saisissante à propos du bouddhisme hindou. D’ordinaire on n’étudie dans cet événement capital que la personne légendaire ou même complètement mythique de son fondateur, que la signification précise des dogmes ou même de tel ou tel mot employé par leurs codificateurs ou commentateurs : mais c’est comme révolution majeure, morale et sociale, que