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L’HOMME.

fait une œuvre utile à l’humanité. Arrivés sur la cime, ils rédigent, de leurs mains raidies par le froid, un procès-verbal de leur gloire, débouchent avec fracas des bouteilles de champagne, tirent des coups de pistolet comme de vrais conquérants et secouent des drapeaux avec frénésie. Là où le sommet de la montagne n’est pas revêtu d’une épaisse coupole de neige, ils apportent des pierres afin de s’exhausser encore de quelques pouces. Ce sont des rois, des maîtres du monde, puisque la montagne entière n’est pour eux qu’un énorme piédestal, et qu’ils voient les royaumes gisant à leurs pieds. Ils étendent la main comme pour les saisir. C’est ainsi qu’un poète de campagne, invité pour la première fois à visiter un château royal, demanda la permission de monter un instant sur le trône. Quand il s’y trouva, le vertige de la domination le saisit tout à coup. Il aperçut une mouche qui voletait près de lui : « Ah ! je suis roi maintenant, je t’écrase ! » et, d’un coup de poing, il aplatit le pauvre insecte sur le bras du fauteuil doré.

Pourtant, l’homme modeste, celui qui ne raconte point son escalade et n’ambitionne