Page:Reclus - France, Algérie et colonies, 1886.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
154
GÉOGRAPHIE.

taines sournoisement, en arrière et par dessous ; celle-ci, tombée des filtres du plateau, s’unit en ruisseaux souterrains déblayant sous la roche le sable ferrugineux qui porte la falaise ; il se forme ainsi des cavernes, la roche est suspendue, et quand les vagues la frappent, elle s’abat, souvent par blocs énormes. Telle tempête a fait crouler un million de mètres cubes de paroi. Il semblerait que de pareils talus de ruines devraient protéger longtemps la falaise qui les a laissés choir ; mais ce qui tombe ainsi par grands pans réguliers n’est ni du granit ni du porphyre, c’est du roc mou ; les flots le diluent, les courants l’emportent.

La falaise normande, haute de cent mètres (tantôt moins, tantôt plus), s’ouvre çà et là par des valleuses : ainsi nomme-t-on des brèches ouvrant l’entrée du lit des mers à des fleuves tout petits, mais très clairs, très vifs, point paresseux, car on en a fait de grands arroseurs de près, de grands tourneurs de roues d’usine et de meules de moulin. Le premier de ces charmants myrmidons hydrographiques est la Bresle (70 kilomètres), qui descend des collines d’Aumale, baigne le parc du château d’Eu, et finit au Tréport. En la traversant, on passe de Picardie en Normandie.

On rencontre ensuite l’Yères, qui n’a même pas 45 kilomètres, puis la Dieppette ou rivière d’Arques, formée de trois courants du pays de Bray, terre argileuse imperméable, à bon droit célèbre par ses prairies et ses arbres de grande venue : ces trois rivières sont la Béthune (55 kilomètres), qui passe à Neufchâtel, ancienne capitale du Pays de Bray : la Varenne (40 kilomètres), l’Aulne ou Eaulne (45 kilomètres). C’est au pied du vieux château d’Arques, immortalisé par une victoire d’Henri IV, que les trois cours d’eau s’unissent ; c’est à Dieppe que leur commun continuateur s’engloutit. Dieppe s’appelle ainsi de la profondeur de son port : son nom est la corruption légère d’un vieux mot normand, autrement dit scandinave, puisque les terribles pirates qui conquirent la