de votre cher enfantelet, je suis loin d’avoir autant de foi en mon étoile. Permettez-moi d’être lâche pour vous, je ne le serais pas s’il s’agissait de faire une action vraiment utile.
Cependant, ce n’est pas le danger de l’acclimatation qui a le plus contribué à modifier mes idées, c’est l’hésitation de Marthe[1] et la patiente longanimité d’Élie. Rien n’est pire que d’attendre et d’attendre, d’être toujours sur le point de faire ce que l’on ne fera jamais. Bien malgré moi, je viens d’en faire l’expérience avec Chassaigne. Il y a bien huit mois, j’avais 100 livres ; il pouvait en obtenir à peu près autant de la vente de ses bois et de ses outils ; mais il a laissé gagner le temps, il a emprunté net 100 livres pour les manger en bananes conjointement avec moi, puis il s’est mis à flâner, à causer avec les imbéciles du quartier, à se Livrer à des réflexions qu’il croyait profondes et à des commentaires qu’il croyait lucides sur deux livres de d’Holbach et de Pierre Leroux que j’avais péchés quelque part. Et voilà : au lieu de commencer par faire à la Sierra une plantation sérieuse, nous avons laissé courir et le temps et l’argent, nous sommes arrivés dans les montagnes sans le sou et j’ai été obligé d’emprunter 80 livres à un de mes amis. Et nous, mes très bons, qu’avons-nous obtenu avec nos désirs perpétuels de nous réunir, et nos hésitations, et notre patience, si ce n’est de rester séparés pendant de longues années ? Vaut mieux la ferme résolution de rester chacun de son côté, toi à Paris, moi à Saint-Antonio et de travailler jusqu’à ce que la réunion soit facile et réalisable. Je t’assure que c’est le vrai moyen de nous revoir plus tôt. D’ailleurs
- ↑ Marthe-Elisabeth-Noémi, femme d’Élie Reclus.