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arrivée nous sommes sûrs d’avoir au moins un poulailler pour vous faire coucher et des bananes pour vous nourrir. J’espère que Noémi est enchantée de cette perspective que je lui offre.

Fatigué d’attendre le vieux Chassaigne, j’ai pris les devants avec son fils pour aller reconnaître la Sierra et chercher d’avance la gorge où nous planterons nos premiers bananiers. J’ai trouvé un site charmant dont la beauté entrera pour beaucoup dans notre bonheur. Là se trouve tout ce que votre imagination se figure : vastes croupes herbeuses, blocs épars dans le lit des torrents, forêts immaculées gravissant jusqu’au sommet des hautes montagnes, paysages verts s’étendant jusqu’à la mer entre une avenue de pics, et puis tant de ces petites cachettes délicieuses perdues sous le feuillage au bord dea ruisseaux frais ! Que diable ! voilà qui vaut bien les Batignolles ou même le pré des Catalaus ; il n’y manque encore que vous et nous, et le premier coup de pioche qui annonce la domination de l’homme.

Cet endroit charmant s’appelle Caracasaca. Je suppose qu’il est élevé d’environ cinq mille pieds au dessus de la mer, de sorte qu’il nous faut renoncer à la culture de la vanille, de la cannelle et d’autres plantes de la zone torride ; mais nous n’en aurons pas moins des bananiers, des palmiers, la canne à sucre, le café, les aracachas et autres productions semi-tropicales. La canne à sucre surtout y donne des résultats merveilleux ; cent cannes donnent, dit-on, seize litres de sucre ; or, comme les Indiens Aruaques, seuls planteurs qu’il y ait dans ces montagnes, n’expriment pas le quart du jus que contient la canne, on peut au moins compter sur une demi-livre de sucre par roseau, ce qui donnerait un produit décuple de la Louisiane ou plus de