qui eût été si bien faite pour jouir de la belle existence d’un travail soutenu par le bien-être, n’avait pas même le temps de regarder, d’embrasser les enfants auxquels chacune de ses minutes était consacrée. Elle les voyait à peine et ils ne la connurent pas tout d’abord dans la profondeur intime de sa tendre maternité. Quant au père, sa personnalité puissante dominait absolument chacun des siens, ses fidèles et tous ceux qui gravitaient autour de lui ; il était impossible de ne pas le voir devant soi comme un être à part, comme l’intermédiaire naturel entre chacun des siens et ce monde formidable de l’au-delà où trône le Seigneur entouré de ses anges. Il représentait la divinité, impression première qui se transforma peu à peu en le ramenant à des proportions humaines, mais le laissa du moins aux yeux de ses enfants comme l’idéal de la Conscience inflexible.
En arrivant en Béarn, la famille Reclus s’était logée temporairement à Orthez dans une grande maison de la rue Moncade qui monte vers les ruines du château de Gaston Phœbus ; puis la ruche se déplaça vers les campagnes de Castétarbes, où la plupart des « chrétiens » vivaient en des maisons dispersées. D’abord les Reclus s’installèrent dans la maison Pouyanne, située à deux kilomètres environ à l’ouest d’Orthez, au sud de la grand’route. Cette demeure paraissait immense aux enfants : c’était un grand cube de maçonnerie, d’ailleurs insignifiant, et célèbre seulement dans nos jeunes souvenirs parce qu’on y avait tué un serpent. Puis le pasteur fit choix d’une nouvelle demeure, la