j’ai bien peu de besoins factices à satisfaire. Un végétarien comme moi fait un délicieux repas avec du manioc et des bananes, et, de cette manière, il peut vivre avec trois sous par jour. Il est même certaines parties du Haut Amazone où l’on peut acheter cinquante livres de bananes pour trois aiguilles. Aussi a-t-on beau être paresseux, il est impossible d’y être pauvre. Quand même je serais tenté de me lancer dans quelque spéculation d agriculture ou de commerce, je crois que nulle part je ne pourrais mieux réussir que là. Peut-être essaierai-je de m’établir définitivement sur l’un des affluents grenadins ou péruviens, j’aurai peut-être le bonheur d’attirer auprès de moi quelques paysans du vieux monde qui, là-bas, sont condamnés à une misère de tous les jours, tandis que, dans l’Amérique du Sud, il leur est presque impossible de n’être pas à leur aise. Déjà l’émigration semble se détourner des États-Unis et commence à se déverser sur l’Amérique du Sud et, sous l’influence de ce flot d’étrangers, les républiques espagnoles progressent à vue d’œil en civilisation, en commerce, en industrie. Elles n’ont pas besoin de craindre une surabondance de population, comme les Know Nothing[1] des États-Unis affectent de le craindre pour leur pays, car la vallée de l’Amazone est assez riche et vaste pour faire vivre dans l’abondance et le luxe les douze cent millions d hommes qu’il y a sur la terre.
Mon oncle a sans doute reçu depuis longtemps la lettre ou je lui parle de mes voyages sur le Missis-
- ↑ « Ne sachant rien ». Appellation adopté par les Nationalistes des États-Unis