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doit venir d’en haut, c’est-à-dire de l’Éternel lui-même ; enfin, la pauvre âme meurtrie se demandait si elle n’avait pas été coupable envers les hommes aussi bien qu’envers Dieu, puisqu’elle avait obéi à l’appel des notables de Montcaret, et non pas à celui des disciples ardents du Christ. Que faire en cette lutte continuelle de tout son être intime ? Quelle décision prendre ? Ses meilleurs amis lui conseillaient, naturellement, de suivre la conduite de tranquille égoïsme qu’ils n’eussent pas manqué de tenir eux-mêmes. Ils le traitaient affectueusement de fou, de visionnaire, même de criminel envers sa femme et ses enfants, mais ils n’apportaient pas le calme à la conscience torturée.

Repoussé par les amis, le pasteur ne pouvait avoir d’autres conseils que de lui-même et des réponses obscures de la prière ; mais, peu à peu, la conviction se fit en lui, et, un beau jour, on le vit grave, résolu, étouffant ses larmes, congédier ses fidèles, ses amis, ses parents, monter à cheval avec son fils Élie campé devant lui, et partir dans la direction du Midi, en compagnie d’un beau paysan de six pieds, le superbe Bessouat, venu pour lui apporter l’invitation des chrétiens d’Orthez et Castétarbes. Personne de la famille ou du cercle d’amis ne nous a raconté ce voyage de cinquante lieues de l’autre côté de la Garonne, à travers les campagnes, les vignobles, puis dans les sables, les marais, les bruyères, les landes ; le petit Élie n’eut de la longue expédition qu’un souvenir confus, résumé surtout dans la grande impression de se sentir chaudement enveloppé dans un manteau et de voir de haut les inégalités du