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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


corps pour mieux la meurtrir. Alors, avec une rougeur et une confusion qui n’étaient plus d’une enfant, elle retenait sa jupe sur ses reins et luttait désespérément pour se sauver de mes coups.

— Corps d’impudique, disais-je en la battant, sentine de vices, réceptacle de crimes, tu n’as pas voulu être ma fille, tu seras mon esclave, va ! et plus fouettée, plus maltraitée que les pires négresses !

En vain serrait-elle les jambes, et se collait-elle contre son lit, il fallut bien, sous mes coups, qu’elle écartât les membres, qu’elle offrit à mes mains impitoyables la place impure, la chair souillée et déchirée par l’homme, pour que je la déchirasse à mon tour.

Je la laissai enfin brisée de douleur, abîmée de honte ; et, l’enfermant à clef, je me retirai dans ma chambre. Mais à peine étais-je seule que l’espèce d’ivresse que l’on ressent à satisfaire ses haines m’abandonna ; après toutes ces exécutions je me sentis plus malheureuse, et seule dans le monde comme dans un désert. Le plaisir et l’amour n’existent plus pour moi, me dis-je. Toutes les souffrances que j’infligerai à Antoinette ne me rendront pas son affection, et pourtant c’est à cela seul que je tiens : le reste m’est indifférent.

Et j’avais envie d’aller lui demander pardon, de m’humilier devant elle, de lui dire de prendre toute ma fortune, d’épouser qui il lui plairait, d’être heureuse. Son bonheur aurait fait le mien : dans l’ombre, à côté d’elle, témoin de sa joie, j’étouffais toute jalousie, j’aimais qui l’aimait, je m’oubliais moi-même.