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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


Il a surtout déshonoré son nom par le titre de comte et son extrême sensibilité pour les hommages des femmes. Il avait d’ailleurs cette aristocratie du talent, qui en est le poison…

— Mais il me semble, monsieur l’abbé, que vous aussi n’êtes pas insensible aux hommages des femmes, puisque vous venez chez Madame Dodue-Fleurie.

— C’est pour une œuvre de charité, mon cher docteur, et croyez-bien que, malgré que ce soit une excellente créature, cela me coûte beaucoup. La société est si mêlée ici ! À part vous, moi, deux ou trois autres personnes…

— Vous êtes bien difficile, monsieur l’abbé.

— Je ne recule jamais devant le devoir, mais permettez à mon goût de se blesser…

— Oui, Monsieur, votre goût se blesse, qu’il se blesse, je n’y vois pas d’inconvénient si cela vous amuse. Mais parlons sérieusement : avez-vous vendu vos hypothèques sur les nègres ?

— Pas encore, et je venais justement ici avec l’espoir de trouver des acquéreurs.

— C’est là votre œuvre de charité !

— Certes, puisque je destine une partie de cet argent aux malheureux.

— Je plains vos malheureux, alors ; car les hypothèques sur les nègres ne s’achètent plus !

— Comment cela ! les miennes portent sur d’excellentes plantations, riches, en pleine prospérité.

— Je suis bien fâché, mais ces hypothèques ne s’achètent plus. Du moins les blancs n’en veulent pas ;