Page:Rebell - Les nuits chaudes du cap français, 1900.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
157
JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


seul suffisait à m’attirer chez elle. Peut-être aussi ai-je senti dans sa lettre ce mystérieux pouvoir qu’elle exerce sur tous et auquel il faut se soumettre, malgré soi.

Je passai la journée avec ma chère enfant ; elle s’était remise peu à peu de son émotion, mais quand elle sut que son amie Agathe avait disparu, elle sanglota et rien ne put la consoler. Il fallait que j’eusse toutes ces inquiétudes et qu’elle m’occupât à ce point l’esprit, pour souffrir si courageusement les horribles douleurs d’entrailles qui vinrent me tourmenter. Je m’imaginais qu’un cercle de fer me comprimait, me rétrécissait le ventre de moment en moment ; le mal avait des élans brusques et des coups féroces. Parfois j’aurais eu envie de me rouler par terre tant je souffrais, et je cachais ma torture à Antoinette de crainte de l’ennuyer. Une minute il me fut impossible de dissimuler. Elle m’interrogea. « Oh ! ce ne sera rien, » lui dis-je. En réalité je ne m’expliquais point ce mal subit ; et je me rappelai un fait dont le docteur Chiron m’avait parlé, peu de jours avant : l’empoisonnement d’une maîtresse par ses esclaves. Étais-je aussi, moi, empoisonnée ? La crainte de laisser paraître une inquiétude vaine lorsque je m’étais montrée d’abord si tranquille, m’empêcha d’appeler le docteur. Je pensai qu’il se moquerait de moi.

Vers le soir, cependant, le mal se calma ; je dis adieu à Antoinette, je la laissai sous la garde de deux noirs en qui j’avais confiance et, après l’avoir enfermée dans sa chambre, je descendis à pied vers le Cap,