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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


che, aux lèvres charnues et saillantes, ressortait entre ses joues grasses ; les paroles, injures ou cajoleries, devaient en tomber sans âme, sans force, inexpressives et inutiles, comme les feuilles sèches tombent de l’arbre. On eût dit que rien chez lui ne pouvait l’émouvoir, en dehors de l’orgueil et du plaisir, mais cette bouche appelait plus que le plaisir égoïste, elle commandait la passion.

Nous autres femmes, les indifférents nous prennent avec tant d’aisance, lorsque seulement nous leur soupçonnons quelque goût pour le plaisir : nous nous piquons à leur conquête, et c’est nous, hélas ! qui sommes conquises !

Dubousquens s’était mis à siffloter à la fenêtre ; cependant Zinga, qui avait laissé passer les injures sans interrompre, s’approcha tout à coup, et d’une voix sourde, haletante de fureur :

— Et à qui donc me suis-je donnée pour que tu me traites ainsi ! Dis-le moi donc, pour voir !

Il se retourna vers elle, étonné ; il n’avait point prévu que ces paroles dédaigneuses provoqueraient chez une esclave une telle colère :

— À qui tu t’es donnée ? s’écria-t-il ; en vérité la demande est plaisante. À qui ! mais une colonne de mon grand registre ne suffirait pas à inscrire le nom de tous tes amants.

Il n’achevait pas qu’une gifle, puis deux, puis trois éclataient sur sa face. Cette dispute, dont je ne voulais rien perdre, me fit abandonner toute prudence. Au risque d’être vue, et malgré les conseils du