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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE

— Ça, jamais, s’écria-t-il, et il ajouta à demi-voix, comme honteux : D’ailleurs la science l’a voulu, je suis un chaste !

Derrière Zinga, nous arrivâmes au Cap, et, nous engageant dans une petite ruelle bordée de sucreries, pleine du bruit saccadé des roues d’écrasage, et exhalant l’odeur écœurante des mélasses, nous suivîmes la négresse jusqu’à une maisonnette riante et modeste, à demi-dissimulée derrière de grands cocolobas qui formaient au-devant d’elle une petite avenue ténébreuse en plein soleil. Des fenêtres ouvertes s’envolaient les sons caressants, les tendres accords d’un clavecin. Zinga prit l’avenue, disparut vite au milieu des feuillages. Des portes s’ouvrirent, le clavecin se tut, et j’entendis un bruit de baisers. Je ne sais pourquoi, je me sentis irritée comme si j’avais reçu un soufflet. J’eus envie de m’en aller, puis une curiosité insurmontable m’attacha devant ces fenêtres ; je voulus même entrer dans l’avenue.

— Où allez-vous ? me dit le docteur. C’est la maison de M. Dubousquens.

— Qu’est cela, Dubousquens ?

— Un négociant fort riche de Bordeaux, et le propriétaire de ces sucreries.

— Tant pis ! Il n’a pas le droit de me prendre mes esclaves. Et je le lui dirai bien, à ce monsieur !

— Arrêtez ! reprit le docteur, vous allez faire une sottise. Châtiez Zinga, enfermez-la, dénoncez-la au Conseil colonial, mais n’allez pas ainsi compromettre votre dignité chez un étranger ! Ne vous suffit-il pas