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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


cet or tentateur. « C’est le bon Dieu qui nous a envoyé « ces voyageuses, » faisait-elle, « et puisqu’elles « sont à moitié mortes… » Un geste affreux achevait sa pensée. Et j’avais beau m’indigner de ces paroles, le désir me venait, à moi aussi, de profiter du hasard. Loin du Cap, dans cette plantation isolée où tous me sont soumis, ne suis-je pas maîtresse de mes actions !… Alors Zinga a senti combien je me défendais mollement contre son dessein ; elle a compris tout l’ascendant, toute l’autorité que pourrait lui valoir sur moi un tel acte ; peut-être aussi l’or l’avait-elle fascinée, peut-être la haine féroce que j’avais déjà remarquée chez elle à l’égard des femmes blanches l’enivrait-elle contre les pauvres fugitives… Et l’horrible forfait s’est accompli. Zinga, ensuite, a porté elle-même dans la montagne le corps de l’infortunée. Mon Dieu ! que votre miséricorde s’étende sur moi ! Vous savez que je ne fus pas la vraie coupable, que cette infâme négresse est la véritable inspiratrice, la seule exécutante du meurtre, que ma faute n’a été que de faiblir, de manquer de courage. Ne voulait-elle pas aussi frapper Antoinette sous prétexte que son existence compromettrait la mienne ? Certes je devinais bien à quelle dissimulation, à quels mensonges, à quels périls continuels allait m’entraîner cette enfant, quelles fables il faudrait inventer pour elle et pour le monde afin d’expliquer sa présence auprès de moi. N’importe, je n’ai pas hésité ; et vous avez béni ma charité, mon Dieu ; au Cap, malgré tant de calomnies, on vante mon âme généreuse ; Antoinette me garde de la re-

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