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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE

— Ainsi, c’est pour m’entretenir de votre « politique » que vous êtes venu me déranger ?

— Non, madame, répondit-il. Je n’ai ni le goût des paroles inutiles, ni celui des actes impossibles. Je ne prétends point empêcher une révolte qui est inévitable à Saint-Domingue ; je veux seulement avertir mes amis assez tôt pour qu’ils puissent se défendre. Et je venais vous répéter : veillez à vos serviteurs !

— Ah ! vous voulez encore parler de Zinga, m’écriai-je, irritée. Vous avez dû voir pourtant que vos médisances n’avaient eu, hier, aucun succès.

Là-dessus il entra dans le pavillon et s’assit lourdement sur un sofa, renversant la tête sur le dossier, comme pour bien marquer qu’on ne l’en déposséderait pas malgré lui. On ne peut échapper à cet homme-là !

Je n’en avais pas d’ailleurs l’intention. Un incident, en apparence négligeable, semblait en effet confirmer les paroles du docteur et éveillait mon inquiétude. Je venais de voir le révérend Samuel Goring se glisser dans la plantation ; ses yeux obliques et ridicules de lapin effrayé étaient encore plus soucieux qu’à l’ordinaire, et il détournait la tête à chaque instant, comme s’il craignait d’être aperçu. Une négritte, l’ayant vu, s’inclina devant lui. Sans répondre à son salut, le révérend, un doigt sur la bouche, lui recommanda le silence puis continua sa route. Il disparut derrière les cacaoyers. Que signifiaient cette visite matinale et tout ce grand mystère ?