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— J’admire comment vous vous êtes rendu familier l’esprit de tant de personnes différentes au point de conserver pour nous jusqu’à leur accent.

— La galanterie, fit-elle, ne va pas sans une intelligence prompte et toujours en éveil. J’eus de bonne heure l’art de deviner les hommes, art en somme facile dans notre profession puisque nul ne garde ses confidences lorsqu’on vient dans nos bras de s’abandonner. D’ailleurs, la fortune réclame de nous moins un esprit entreprenant qu’une âme souple, docile et molle comme cire à toute empreinte. C’est pourquoi tous ceux qui m’approchèrent, amis ou ennemis, me marquèrent à leur signe. Il y a des jours où cela me gêne bien un peu de porter en moi des idées si diverses, d’autant plus que, semblables aux corps d’où elles sont venues, elles ont leur jalousie et font ensemble mauvais ménage. Seulement, cette confusion n’a lieu que s’il me faut juger des affaires qui ne me regardent point : sur la stratégie, l’art ou la politique, je soutiens tour à tour, parfois sans m’en apercevoir, les avis les plus différents, mais qu’il faille traiter d’argent, de commerce, d’amour, je redeviens moi-même.

— Madame, dit alors Arrivabene qui venait de courtiser Polissena et qui s’inclina respectueusement, je vous rends grâce de vous rappeler si bien le latin que je vous ai enseigné. Vous avez cité des vers mieux même que je n’aurais pu les dire.

La Nichina se mit à rire de tout son cœur.

— Si l’on peut se vanter ainsi ! s’écria-t-elle, mais, Arrivabene, vous savez bien que c’est le cardinal qui m’a appris certains poèmes de lui et de ses amis, dont je me suis toujours souvenue. Il aimait à me les entendre réciter, parce que, prétendait-il, j’avais une belle voix et que j’étais sensible à l’harmonie. Si je n’avais eu que vous pour m’instruire, mon frère,