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Le moine tressaillit, eut un regard effaré, tourna la tête à droite, à gauche, et s’aperçut enfin que le cardinal lui adressait la parole. Il ferma les yeux et, d’une voix sourde :

— Il y a longtemps que mon esprit a quitté cette terre d’iniquités. Comme mon cher maître, j’ai maintes fois chanté ce vers en pleurant :

Heu ! fuge crudeles terras, fuge littus avarum.

— Gennaro, dit le cardinal à Fasol, me cite toujours ce vers comme s’il n’en connaissait point d’autres, et surtout comme s’il n’en sentait point l’harmonie : il faut que je lui donne une leçon.

Alors, se tournant vers le moine :

— Mon cher frère, nous ne mêlerons pas, si vous le voulez bien, le sacré au profane.

— Mais, répliqua Gennaro, n’est-ce point tourner les impies en dérision, que de se servir de leurs erreurs pour le triomphe de la sainte Foi ?

Cette réponse mit le cardinal en fureur.

— Il ne vous appartient pas de tourner Virgile en dérision, s’écria-t-il ; c’est le Poète plutôt qui, par les vers que vous citez de lui, vous couvre à jamais de ridicule. Quand, à la suite de votre latin de populace et d’un vénitien de bateliers, vous prétendez, en vos sermons, l’amener comme un ennemi vaincu et humilié, il me semble contempler un dieu que la boue et les insultes n’atteignent point, et dont la rage impuissante de ses ennemis ne sert qu’à mieux faire éclater la gloire !

— Je vous félicite, monseigneur, dit Fasol ; enfin je vous vois ému.

Mais le cardinal était déjà las de sa colère.

— Ne louez point, Fasol, un mouvement d’indi-