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— Je ne travaillerai plus ici, fis-je en pleurant, et je me sauvai.

Après avoir quelque temps couru après moi, armée d’un bâton, elle cessa de me poursuivre.

— Tu n’as rien perdu, me cria-t-elle, quand tu rentreras, je te donnerai ce qui te revient.

Mais je ne voulais plus rentrer ; cette fois j’étais bien décidée à m’en aller vers cette onde attirante que j’avais regardée si souvent avec amour sur le vieux pont du Rialto. Dussé-je devenir plus laide que mon amie la petite noyée, me dis-je, dussé-je mériter l’Enfer, je suis résolue à ne plus demeurer avec cette femme cruelle, loin de mon Guido. Toutes mes anciennes souffrances, tous mes chagrins oubliés se réveillaient les uns après les autres, et, comme des mains barbares, me poussaient à la mort. Le jour aussi m’y invitait : au milieu de ces eaux immobiles, dans cet air embrasé, il me semblait bon de s’en dormir.

J’arrivais donc au Rialto avec l’intention bien arrêtée, s’il n’y avait personne, de me jeter à l’eau, quand j’aperçois, — j’en tressaille encore ! — accoudé à la balustrade du pont, Guido, mon cher Guido en personne qui, tout songeur, regardait le canal étinceler au soleil. Alors, heureuse comme si j’avais été dans le Paradis, je me glisse vers lui bien doucement et, lui prenant le cou dans une étreinte ardente, je lui donne plusieurs baisers. Il tourna la tête, eut un cri de surprise et tout son visage exprima la joie. Maintenant qu’il était près de moi, je ne voulais plus mourir.

— Comme tu es beau ! m’écriai-je.

Il n’avait point, comme naguère, la face poudreuse et noircie ni les vêtements en lambeaux. Sa figure, d’une blancheur d’ivoire, était encadrée de longs cheveux noirs relevés en boucles contre son col, et