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mières de la fête étaient éteintes ; seule une petite lanterne continuait à éclairer le moine. Dans l’ombre, on distinguait un vaste mouvement, une agitation sourde, une rumeur énorme et grandissante. Des voix s’élevèrent derrière moi pour attaquer les danseurs, d’autres prirent leur défense ; on en vint aux coups ; à chaque instant la dispute s’élargissait, et bientôt les cris, le tapage, la violente poussée qui nous jeta presque sous le nez du moine, me firent comprendre que la bataille devenait générale.

— Papa ! dis-je, j’ai peur, j’ai peur.

— Allons-nous-en, me répondit-il ; et, me tenant par les jambes, il se disposait à percer la foule. Alors nous fûmes entourés et pressés à étouffer dans un cercle de chair. Les bouchers, qui sortaient des ostéries, arrivaient en armes pour se mêler au combat.

Le moine parlait toujours sans rien voir de ce qui se passait autour de lui.

« Mon cher maître l’a dit… La foi nous vient de Dieu et n’est point le résultat de nos œuvres. »

Tout à coup un prêtre, qui se trouvait mêlé à la populace, s’écria :

— Saisissez l’hérétique ! Saisissez-vous de ce prédicateur de mensonge.

Une voix répondit :

— Laissez les saints parler aux hommes.

Mais aussitôt une furieuse clameur gronda :

— À mort l’hérétique ! À mort ! À mort !

Le moine s’arrêta de parler, et, comme s’il venait de tomber du ciel, il regarda devant lui la populace en colère, de ses yeux agrandis par l’épouvante et sans pouvoir dissimuler le tremblement de son corps. À peine avait-il eu conscience du danger que déjà un coup de bâton l’atteignait à la tête et le renversait ; une femme glissa et fut piétinée ; la petite lanterne