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chagrin un jour où je portais ma robe neuve, je baissai les yeux et m’éloignai vivement avec mon père.

Si vous n’êtes pas de Venise, mon frère, et que vous n’ayez jamais assisté à la fête du Jeudi gras, je vous dirai que c’est vraiment une agréable réjouissance et qu’à présent encore je ne manque pas une année de m’y rendre.

En commémoration de notre victoire sur le patriarche d’Aquilée, on y tue un taureau et douze petits cochons représentant le patriarche et les douze chanoines qui furent avec lui condamnés à mort. Ce jour-là, tous les bouchers de la ville sont en armes comme si, au lieu de tuer de paisibles et innocents animaux, ils se battaient vraiment contre de redoutables ennemis. Ah ! il faut les voir avec les cuirasses dont ils sont couverts, la lance et les vieux glaives qu’ils font bien haut sonner. Cet accoutrement, qu’ils n’ont point l’habitude de porter, embarrasse leurs mouvements et donne lieu aux plus divertissantes catastrophes. On remarque de ces gaillards qui, après s’être promenés toute une après-dînée sous une pesante armure, n’en peuvent plus de fatigue ; à les entendre souffler et haleter on croirait qu’ils vont rendre le dernier soupir, et avec l’eau qui coule de leur front on remplirait aisément un bassin. Il suffit alors du moindre croc en jambe pour mettre à terre le batailleur et donner à cette cuirasse qui devait le protéger contre l’ennemi le rôle d’adoucir sa chute. N’importe ! ces messieurs tiennent à garder leurs armes jusqu’à leur coucher ; bien heureux s’ils consentent, devant leur lit, à oublier qu’ils furent soldats un jour. Mais à côté de ces équipements ridicules, on aperçoit les toilettes les plus riches et c’est un enchantement pour les yeux. Il y a aussi mille tours d’adresse et d’équilibre ; des