Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/35

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par une si aimable soirée, j’avais peine à supporter tranquillement le voisinage de toutes ces femmes qui nous regardaient en souriant. La Nichina surtout, avec ses allées et venues lascives, ses gestes aisés et majestueux, la grâce et L’esprit qu’exprimait tour à tour son visage, enflammait mon désir.

— Eh bien ! fit Nichina, si je m’attendais à vous voir aujourd’hui, mon frère, je veux bien aller rendre visite au Diable.

— Ma chère sœur, dit Arrivabene, on se voit quand il plaît à Dieu. La Providence tient secrets ses desseins.

— Mais quel bon vent vous amène ce soir ?

— Tout simplement le désir de souper avec vous. Nous pensons que vous êtes assez pieuse et charitable pour n’éprouver aucun ennui à rendre des forces à des serviteurs de Dieu, fatigués d’un long jeûne et affaiblis par la nourriture insuffisante du couvent. Nous avons besoin des solides vertus, des sublimes principes de votre cuisine.

À cet aveu sans détour, les amies de Nichina partirent d’éclats de rire tumultueux et se tordirent comme des possédées. C’étaient d’excellentes personnes qui, pleines d’expérience, riches de la sottise des hommes, ayant vu et joué plus d’un bon tour, le ventre libre et l’estomac bien portant, ne demandaient qu’un prétexte pour manifester leur joie. Quand elles eurent ri tout leur soûl, la Nichina, plus calme, se tournant vers sa mère qui inclinait sur une chemise rapiécée sa tête déjà lourde de sommeil :

— Maman, appela-t-elle.

La vieille s’éveilla en sursaut.

— Maman, tu entends : on loue ta cuisine.

Aussitôt les yeux de la vieille se mirent à briller de colère.