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J’eus un sommeil lourd, profond et sans rêve ; je ne m’éveillai que le lendemain dans la soirée. En ouvrant les jeux, je m’aperçus qu’Arrivabene avait ramassé tapis et couvertures et que j’étais étendu sur mon manteau. Le moine, assis en tailleur, s’occupait de guillocher avec mon poignard des petites croix de bois comme en portent au cou les enfants.

Quand il rencontra mon regard, il m’apprit que le père Antonio était venu avec l’abbé Coccone. Ils m’avaient, paraît-il, considéré avec attention, mais ils n’avaient pas voulu qu’on troublât mon repos.

— Maintenant, dit Arrivabene, peut-être serait-il convenable d’aller voir le supérieur, mon frère.

Je fus choqué de la familiarité de ce moine malpropre et je songeai avec tristesse que, moi aussi, je devrais bientôt le traiter de frère, ni plus ni moins que s’il était sorti du même lit que moi.

Le père Antonio était à écrire lorsque j’entrai dans sa cellule. C’était un vieillard encore robuste, d’une stature de géant, avec un visage de prophète, des yeux et un sourire enfantins. Je pensai, en l’abordant, à ces navires solides et magnifiques, qu’un léger vice de construction condamne à rester dans le port. La nature s’était plu à donner à ce moine la force et la beauté, puis, au moment de finir son œuvre, elle avait négligé de mettre en lui cette intelligence d’homme sans laquelle tous les autres dons lui devenaient inutiles. Le père Antonio inspirait une mélancolie profonde comme la ruine d’un palais colossal et inachevé.

Mais le père possédait cette douceur des âmes simples que la vie n’a qu’effleurées. Il sut, dans le discours qu’il m’adressa, montrer combien était grande sa compassion, et quand, à la suite de mon récit, il me vit tout en larmes, il trouva, pour me consoler, d’exquises paroles.