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Il me semble qu’il me vient une âme nouvelle et insoupçonnée, plus légère, plus rapide à goûter le plaisir, et que, dans cette subite naissance, peine et joie se confondent. L’amour, je le vois, se plaît à se déguiser sans cesse et à nous étonner, chaque jour, davantage que la veille. Mais je crains qu’il ne me réserve trop de souffrances. Et c’est pourquoi je serai plus forte que mon désir. Si je suis parvenue à oublier Guido, ce n’est pas afin d’aimer un autre homme. Je rougirais trop de ressembler à mes niaises compagnes !

Et pourtant il m’était apparu si beau !

Un piétinement semblable à celui d’une armée vint m’arracher à cette songerie. Quatre jeunes gens, précédant une foule recueillie, soutenaient un vieil homme aux épaules voûtées, au chef tremblotant, et dont les yeux sans lumière erraient machinalement sur la multitude. Comme la statue d’un saint, il avait la tête couronnée de fleurs qui, sur ses rides, formaient une parure dérisoire.

À côté du cortège j’aperçus Michele des Étoiles. Il s’était vêtu, pour la circonstance, d’un vieux pourpoint de soie écarlate que l’Anglais Craddock, dans son départ précipité, avait laissé à Morosina. Il n’en était pas moins fier et joyeux. Je l’appelai de la fenêtre.

— Michele, dites-moi, est-ce saint Joseph que l’on porte en procession ?

Il eut un ricanement dédaigneux.

— Ce n’est pas un personnage céleste, fit-il, mais le plus humble et le plus misérable des hommes : un ancien voleur que quarante années de cachot ont puni d’avoir convoité le bien d’autrui. Aujourd’hui la Seigneurie, en l’honneur des fêtes, lui rend la liberté ; et le peuple profite de cette grâce pour bien manifester