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élevé le théâtre. Là, croyant avoir rempli sa mission, elle me dit adieu et me laissa pénétrer seule dans la chambre qui se trouvait derrière la scène et où devaient s’habiller les actrices.

J’y rencontrai deux femmes qui allaient paraître avec moi dans le divertissement, à la fin de la représentation. Elles avaient déroulé un tapis de théâtre et s’en étaient formé un lit où l’une se vautrait avec paresse, tandis que l’autre, la plus jeune, s’y tenait assise à croupeton, croquant une belle pomme charnue à pleines dents et jusqu’aux gencives, comme si elle eût voulu, d’un coup, l’engloutir, tout entière. Bien qu’elles me fussent inconnues, je jugeai convenable, à titre de compagne, de les saluer ; mais, soit timidité, soit jalousie, elles me répondirent à peine d’un signe de tête. La plus jeune acheva de manger sa pomme des yeux et de tout son visage ; l’autre ne voulut point déranger pour moi son attitude et, restant couchée sur le ventre, continua de m’offrir, avec un œil mi-clos et le bout d’une oreille à demi cachée par la main, sa croupe élargie et tranquille. Un peu gênée d’un pareil accueil, je m’approchai de la fenêtre où, le dos tourné, j’attendis mon costume et l’arrivée de Vivaio, l’organisateur du spectacle, qui tenait à nous examiner au dernier moment.

Les jeunes femmes, que je ne dérangeais plus, reprirent la conversation que mon entrée avait interrompue.

— Vois-tu, Orsetta, disait celle qui était couchée, je ne puis comprendre que tu aimes un homme pareil à ton capitaine, un homme qui n’a pas un cheveu sur la tête, qui boite et, avec ça ! qui a une figure, une figure…

— Accouche donc : je n’ai pas de fierté.

— Une figure de Judas, une figure à l’envoyer tout de suite ramer sur les galères.